Archives de Tag: Economie des institutions

Les institutions sont-elles toujours efficientes ?

Un intéressant échange sur la question de l’efficience des institutions a eu lieu ces derniers jours entre Daron Acemoglu et James Robinson d’un côté, et Peter Leeson de l’autre, à partir notamment des travaux de Leeson sur les institutions de la piraterie au 18ème siècle (voir ici pour ma note de lecture sur l’ouvrage de Leeson). Le premier post de Acemoglu & Robinson est ici, la première réponse de Leeson est là, la réponse d’Acemoglu & Robinson est ici, et enfin la réponse à la réponse de Leeson est ici. Lire la suite

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Acemoglu sur les institutions en économie

Long mais très intéressant entretien avec Daron Acemoglu sur le site Edge. Acemoglu aborde le rôle des institutions dans le développement économique, ce qui est le sujet de son livre co-écrit avec James Robinson Why Nations Failet du blog du même nom.

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Faits institutionnels et intentionnalité collective : Searle versus l’analyse économique

C.H.

Mes recherches sur les thèmes de la saillance, de l’émergence ou encore du raisonnement collectif m’ont amené à m’intéresser récemment aux travaux du philosophe américain John Searle, et plus particulièrement à son ingénieuse théorie des faits institutionnels. Searle développe une réflexion ontologique sur la nature des faits institutionnels en montrant comment des objets sociaux acquièrent du point de vue des agents une réalité en tout point identique à celle des faits naturels. A ce titre, Searle traite de questions qui intéressent un nombre croissants d’économistes travaillant sur l’émergence et le fonctionnement des normes sociales et autres conventions. Il est de ce point de vue intéressant de se demander comment l’analyse de Searle se positionne par rapport à l’approche standard des économistes. Lire la suite

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Les économistes ont-ils perdu toute « Vision » ?

C.H.

Roger Backhouse, auteur important dans le champ de la philosophie économique, et Bradley Bateman posent une question fondamentale dans cet article paru dans le New York Times : ne manque-t-on pas cruellement d’économistes capables d’avoir une pensée globale sur le fonctionnement de nos économies, de proposer une « Big Picture » de nos économies de marché et capitalistes ? Des penseurs qui, à la manière de Marx, Keynes, Hayek ou Friedman, pourraient développer une vision cohérente des économies contemporaines.

Backhouse et Bateman notent de manière très juste que l’évolution de la discipline n’est pas favorable à la survie de ce genre de penseurs. Ironiquement, c’est Keynes lui-même qui est le premier à l’avoir bien compris en expliquant qu’un économiste devait être comme un « dentiste » : avoir l’ambition mesuré de ne traiter qu’un problème bien identifié et bien circonscrit, mais dont la résolution peut être potentiellement très bénéfique. L’économie, comme toutes les sciences « dures », mais aussi comme de plus en plus d’autres sciences sociales, est aujourd’hui une discipline extrêmement spécialisée. Cela s’explique évidemment par le fait que le stock de connaissances ne cessent de s’accroître, et ceci de manière exponentielle. Les compétences techniques et les connaissances factuelles qui sont requises pour apporter une contribution significative dans un des sous-domaines de la science économique sont telles que, hormis pour une poignée d’individus extrêmement brillants, il est bien difficile de sortir de son champ d’expertise étroit. Ajoutez à cela les incitations et contraintes instaurées par le fonctionnement de la science moderne qui poussent à une recherche de la « productivité », et on comprend alors aisément pourquoi tous les économistes sont devenus des dentistes.

A chacun de se faire son opinion sur cette évolution, si elle est souhaitable ou dommageable. On peut faire remarquer, à juste titre, que d’une certaine manière elle échappe largement à notre contrôle et qu’elle s’inscrit logiquement dans le cadre d’une dynamique de « progrès » scientifique. Mais on peut aussi souligner certains de ses désagréments. Dans son monumental Histoire de l’analyse économique, Joseph Schumpeter (un de ces spécimens à avoir développé une vision globale du capitalisme) a insisté sur l’importance de ce qu’il appelle la vision dans notre manière d’aborder les problèmes socioéconomiques (citation en anglais, n’ayant pas la version française sous la main) :

Obviously, in order to be able to posit to ourselves any problems at all, we should first have to visualise a distinct set of coherent phenomena as a worthwhile object of our analytic efforts. In other words, analytic effort is of necessity preceded by a preanalytic cognitive act that supplies the raw material for the cognitive effort [and this] will be called Vision

Dans le cadre de la démarche analytique et cartésienne qui consiste à séparer les éléments d’un ensemble plus global pour les étudier séparément, nous avons besoins de passer par une phase de cognition pré-analytique où nous développons une vision de l’ensemble global qui va nous guider. Les problèmes socioéconomiques que les économistes étudient ne sont pas des faits objectifs. Les problèmes sont construits par la manière dont nous les caractérisons, les divisons les uns par rapport aux autres et par la manière dont nous les relions. Cet acte cognitif pré-analytique a également été très bien pensé par Max Weber et son concept de « rapport aux valeurs ». Le rapport aux valeurs est l’ensemble des éléments normatifs (la plupart du temps produit par le contexte culturel) qui nous conduit à considérer tel problème comme important ou significatif et tel autre autre problème comme secondaire. C’est aussi lui qui nous conduit à caractériser les problèmes de la manière dont nous le faisons. Le point de tout ça n’est pas que la méthode analytique est problématique en soi, mais qu’elle le devient à partir du moment où la caractérisation des phénomènes à étudier ne se fait plus sur la base d’une vision de l’ensemble global dans lequel ces phénomènes s’inscrivent.

Les économistes ont-ils perdu cette vision ? Probablement pas tous, mais il est évident que le rejet pour les travaux cherchant à développer une approche d’ensemble sur le capitalisme (par exemple) ne facilite pas l’entretien d’une telle vision. Il est peut être trop facile de prendre certains exemples extrêmes montrant comment la profession valorise plus des travaux s’intéressant aux stratégies optimales d’abaissement des lunettes de WC que des travaux portant sur les variétés du capitalisme (lesquels seront typiquement publiés ailleurs qu’en économie), mais il y a là certainement quelque chose qui a du sens. Au-delà ce ces contrastes caricaturaux, le plus inquiétant est qu’aujourd’hui un économiste du travail (par exemple) peut produire de la recherche de qualité (ou considérée comme telle) sans avoir la moindre connaissance (autres que les éléments théoriques communs) concernant le fonctionnement des systèmes financiers ou des systèmes de santé. Ces problèmes sont différents me direz-vous. Ce à quoi je vous répondrai que tout dépend de la vision que vous adoptez.

Cette question m’intéresse d’autant plus que cela fait 4 ans maintenant que je donne un cours sur les variétés de capitalisme à des non-économistes de niveau master. Ce que j’en tire, c’est que ce type de cours répond totalement aux attentes d’un public de non-spécialistes qui eux-même veulent se doter d’une vision, même approximative, de la manière dont fonctionne nos économies. Du coup, je me demande si ce n’est pas comme ça qu’il faudrait interpréter la récente affaire du « walk-out » qui a concerné le célèbre cours d’économie de Greg Mankiw à Harvard. Il y a clairement une motivation idéologique derrière l’action de ces étudiants (dont la lettre est d’une pauvreté argumentaire affligeante, surtout si l’on considère qu’il s’agit d’étudiants de Harvard !) mais il y aussi là le signe d’un décalage entre une demande provenant en partie d’étudiants non-économistes et une offre (le cours de Mankiw) qui s’inscrit dans la plus stricte orthodoxie de la profession (ce qui n’est pas une critique). Il est bien entendu que les aspirants économistes doivent se soumettre à l’austérité des cours d’économie standard (qui d’ailleurs ne sont pas forcément austères). Pour les autres, c’est moins évident et ce n’est en tout cas pas ce qu’ils attendent. Mais peut être qu’un changement de perspective chez les économistes professionnels eux-mêmes est-il nécessaire. Initialement, les économistes étaient des philosophes. Aujourd’hui, la plupart d’entre eux sont devenus de purs et brillants techniciens. On est peut être maintenant en mesure de trouver un juste équilibre, histoire de faire des économistes de véritables penseurs de notre société.

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Le (nouvel) esprit du capitalisme

C.H.

Le titre de ce billet ne m’est pas inspiré de l’ouvrage de Boltanski et Chiapello mais plutôt de ce récent article de The Economist qui propose une intéressant analyse des mouvements de contestation « anti-capitalisme » qui se multiplient dans le monde. La lecture de cet article m’a tout de suite fait penser à l’ouvrage de Karl Polanyi, La grande transformation, et à sa fameuse thèse du double mouvement. Polanyi suggère qu’à partir du moment où le fonctionnement des économies occidentales a commencé à être fondé sur des mécanismes marchands (avec, comme principales incitations, l’appât du gain et la peur de la faim), le corps social a été amené à réagir de façon plus ou moins violente à la dissolution des institutions traditionnelles soutenant la société. Lire la suite

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Croyances et intentions collectives, et économie

C.H.

Les récentes primaires « citoyennes » organisées par le parti socialiste me donnent l’occasion d’aborder une question qui n’intéresse généralement pas beaucoup les économistes mais qui a pourtant une signification économique tant théorique qu’empirique : le rôle des intentions et des croyances collectives. Les candidats à la primaire, en dépit de leurs efforts pour maintenir une certaine cohésion et unité, ont fait état ces dernières semaines d’un nombre non négligeable de désaccords sur des sujets centraux sur lesquels le programme du PS avait pourtant déjà pris position. Maintenant que François Hollande vient d’être désigné candidat officiel du PS, tous ses anciens « adversaires » vont se ranger de son côté et, défendre des idées qu’ils ont ouvertement critiqué lors des débats de la primaire. De son côté, les positions et les propositions de Hollande ne seront plus seulement les siennes, mais bien celles du parti socialiste dans son ensemble. Lire la suite

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Crise de la dette publique, auto-référentialité et prophéties auto-réalisatrices

C.H.

A l’heure où j’écris ces lignes, la réaction des principales places boursières mondiales à la dégradation de la note des Etats-Unis par l’agence de notation Standards & Poors se fait encore attendre. Quoiqu’il en soit, cet évènement est l’occasion de souligner à nouveau une dimension qui est partiellement commune aux Etats-Unis et à certains pays européens : l’auto-référentialité du phénomène de crise de la dette publique. Lire la suite

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Coopération, confiance et réciprocité (2/2)

C.H.

Il est à peine exagéré je pense de réduire l’histoire du développement économique des sociétés humaines à la mise en place d’institutions (c’est-à-dire de règles, de normes, de convention et d’organisations) rendant possibles des mécanismes de réciprocité indirecte faisant circuler de l’information et permettant l’établissement de la réputation. Le développement des coalitions de marchands juifs en Afrique du nord au 11ème siècle, les guildes de commerçants en Europe au 12ème et 13ème siècle, les foires de Champagne au 17ème siècle ou encore les dites de ventes en ligne comme Ebay aujourd’hui ont tous en commun d’être fondé sur des dispositifs permettant une circulation relative de l’information, laquelle permet de porter à chacun un jugement sur la propension de l’autre à coopérer. Alexandre dans son billet évoque son exemple personnel de l’achat de lentilles sur internet. Ici encore, la réciprocité indirecte joue à plein car même s’il n’y a pas de dispositifs directs contrôlant l’honnêteté du vendeur de lentilles, une malhonnêteté récurrente de sa part finirait par entacher sa réputation. Le vendeur de lentilles ne fait finalement que suivre une stratégie de coopération conditionnelle dans le jeu géant qu’est l’économie mondiale. Si malgré tout de nombreux cas de fraudes existent, c’est précisément parce que l’information est largement imparfaite et que les agents peuvent tricher sur les signaux qu’ils envoient. Lire la suite

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Kuran et North sur le rôle des institutions

C.H.

Via Orgtheory, une intéressante discussion entre Timur Kuran et Douglass North sur la relation entre institution et performance économique :

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Acemoglu sur l’évolution de la coopération

C.H.

Daron Acemoglu (qui décidemment est capable d’écrire sur à peu près n’importe quoi) propose un intéressant article sur l’évolution de la coopération. Extraits :

We develop a theoretical framework in which social norms shape inferences about past behaviour and also regulate expectations of future behaviour. These inferences and expectations are particularly relevant since individuals only have imperfect information about the behaviours of others. Social norms determine how individuals interpret their imperfect information, and also imply that others in the future will interpret their own imperfect information in a similar manner, thus ensuring some degree of coordination. This coordination is not necessarily all good, however, since it can be on actions such as lack of trust or corruption that fail to exploit gains from cooperation within society.

We examine settings in which individuals interact with others from both older and younger generations. An individual’s behaviour is determined by what they infer about past behaviour on the basis of their imperfect information and what they expect future behaviour to be. Thus, history – in the form of a shared common interpretation of past behaviours – plays a central role in anchoring these expectations and shaping social norms. A particularly important form of history in our analysis is the past actions of « prominent » agents who have greater visibility (for example because of their social station or status). Their actions matter for two distinct but related reasons. First, the actions of prominent agents, impact the payoffs of the other agents who directly interact with them. Second, and more importantly, because prominent agents are commonly observed, they help coordinate expectations in society. For example, following a dishonest or corrupt behaviour by a prominent agent, even future generations who are not directly affected by this behaviour become more likely to act similarly for two reasons; first, because they will be interacting with others who were directly affected by the prominent agent’s behaviour and who were thus more likely to have followed suit; and second, because they will realise that others in the future will interpret their own imperfect information in light of this type of behaviour. The actions of prominent agents may thus have a contagious effect on the rest of society.

Le papier académique sur lequel cet article est basé peut être trouvé ici. L’innovation majeure ici consiste à introduire le rôle d’agents « proéminents » qui servent en quelque sorte de modèles dans l’évolution des normes sociales. Le papier met également en avant l’importance de l’histoire ; cet article d’Argenziano et de Gilboa développe un point similaire en considérant que l’histoire permet aux agent de former des anticipations. L’imperfection de l’information joue un rôle important dans le modèle d’Acemoglu et Jackson. Sur ce plan, Cristina Bicchieri propose dans cet ouvrage une intéressante analyse en termes de cascades informationnelles (j’avais utilisé une forme basique de son cadre d’analyse ici). Sur l’évolution des normes sociales et de la coopération, un dernier facteur à prendre en compte est la possibilité d’une sélection de groupe au niveau culturel. C’est un argument avancé par Ken Binmore dans son étude sur l’évolution du contrat social et j’ai pour projet dans un avenir proche de creuser un peu plus cette dernière possibilité.

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Agrégation, émergence, mécanismes causaux et relations constitutives

C.H.

Daniel Little a proposé récemment sur son blog une série de billets très intéressants autour des concepts d’agrégation, d’émergence et de mécanismes causaux dans les sciences sociales : ici, ici, ici et . Ces billets rejoignent un certain nombre de questions qui ont été traité récemment sur ce blog. La lecture des billets de Little fait comprendre que l’un des grandes préoccupations des sciences sociales contemporaines est de « décomposer » les phénomènes sociaux pour en faire ressortir les micro-fondements. En clair, vous constatez certains patterns macro-sociaux et vous cherchez à les expliquer par le biais du comportement des individus au niveau micro.

Cette approche est basée sur l’idée forte que les mécanismes de causalité n’existent qu’au niveau micro, comme cela apparait clairement dans le célèbre diagramme de Coleman au travers duquel James Coleman a réinterprété la thèse de Weber sur la relation entre éthique protestante et esprit du capitalisme :

 

Le lien macro entre éthique protestante et capitalisme n’a pas d’existence ontologique, ou plus exactement il n’y aurait pas de relations causales directes. La relation passe par le lien micro entre certaines valeurs et le comportement économique des agents. Il s’agit d’une approche réductionniste (« individualiste ») des phénomènes sociaux qui est aujourd’hui au coeur des modélisations à base d’agent-based models et dont Thomas Schelling a été l’un des précurseurs.

Comme je l’avais indiqué ici, ces approches ont toutefois au moins un point aveugle dans le sens où elles ne s’intéressent finalement qu’à la relation ascendante entre action et structure. La relation descendante est soit totalement ignorée, soit traitée de manière floue. Par example, comment doit-on interpréter la relation 1 dans le diagramme de Coleman entre la doctrine calviniste et les valeurs des individus. Cela renvoie notamment au problème de la causalité descendante qui est un concept très contesté en philosophie de l’esprit. Dans un précédent billet, j’ai essayé de montrer que l’on pouvait obtenir une interprétation intéressante de la causalité descendante dans les sciences sociales si l’on formalise les institutions (conventions, normes, règles) comme des équilibres comme des équilibres corrélés. 

Il me semble cependant nécessaire d’aller encore un peu plus loin. Si l’on interprète une institution comme un équilibre corrélé, cela veut dire que l’institution agit comme un signal externe qui indique aux individus ce qu’ils doivent faire. En ce sens, il y a bien une relation de causalité. De par son statut, une institution a une certaine saillance qui lui donne un caractère évident et visible pour tous les individus. Cependant, bien souvent, il existe au même moment et au même endroit une multitude de phénomènes potentiellement saillants (parfois plusieurs institutions) qui peuvent jouer le rôle d’instrument de corrélation. De plus, comme l’avait indiqué en son temps Durkheim, toute règle ou tout « contrat » est toujours incomplet dans le sens où il ne spécifie jamais dans le moindre détail le comportement qui est attendu. En d’autres termes, une institution doit être interprétée.

Cette nécessité correspond à ce que j’appelle les relations constitutives entre institutions et actions individuelles. Pour formuler les choses de manière un peu formalisée, on peut dire qu’une règle R prescrit un comportement C lorsqu’une classe d’évènements E se produit. Pour reprendre la terminologie de la théorie du common knowledge de Lewis, un évènement E est un indicateur de la règle R si et seulement si, quand E se produit, tout le monde sait que tout le monde sait que chacun va adopter le comportement C prescrit par la règle R. Dans le cadre d’une interaction stratégique (où le « bon » comportement à adopter dépend de ce que font les autres), E ne peut indiquer R que si tout le monde raisonne de la même manière à partir de E ; c’est la condition de raisonnement symétrique. Le problème fondamentale est donc que pour qu’une institution soit causalement efficace, il faut qu’elle soit interpréter de la même manière par tout le monde et donc que les individus raisonnent de manière symétrique et, au-delà, que chacun sache cela.

La réalisation de la condition de raisonnement symétrique est au fondement des relations de constitutivité entre institutions et action individuelle. De mon point de vue, le raisonnement symétrique est équivalent à ce que j’appelle dans ce papier une compréhension commune de la situation. Cette compréhension commune fait que les individus partagent une même conception de la saillance, de sorte que l’évènement E indique la règle R prescrivant le comportement C à toute la population. A la limite, on peut interpréter la compréhension commune comme une forme de raisonnement collectif fictif : « nous interprétons la situation comme X, donc je dois faire x ». L’idée est que la compréhension commune vient probablement en partie du fait que les membres d’une population partagent un même patrimoine institutionnel, c’est à dire qu’ils ont en commun le fait de se référer au même ensemble de normes, de règles et de conventions. Autrement dit, la saillance d’une institution particulière et l’interprétation qu’en font les individus dépend de l’existence d’un ensemble d’autres institutions que les membres de la population partagent. On a alors une dimension de synchronicité qui caractérise n’importe quelle relation constitutive : à tout moment, mon action est constituée de l’ensemble institutionnel dans lequel elle s’inscrit en permanence. En ce sens, les institutions sont à la fois causalement efficaces et constitutives de l’action individuelle.

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Emergence, causalité descendante et équilibre corrélé

C.H.

Pas beaucoup de temps pour bloguer en ce moment, fin d’année universitaire oblige et aussi parce que j’ai pas mal de travaux en cours de rédaction qui me prennent pas mal d’énergie. Avec mon collègue Isaac, nous planchons en ce moment sur un papier sur le concept d’émergence en sciences sociales. J’ai déjà présenté ici mes réflexions sur la question et j’ai depuis quelque peu avancé. Pour rappel, la principale problématique est la suivante : si l’on définit le phénomène d’émergence par la combinaison d’un effet de survenance (causalité ascendante) et d’une causalité descendante (où l’entité émergente a une influence causale sur les entités du niveau ontologique inférieur), comment peut-on caractériser de manière convaincante la causalité descendante ?

La notion de causalité descendante est en effet très contestée, notamment en philosophie de l’esprit mais aussi en sciences sociales (un exemple). Dans un billet précédent, j’ai indiqué que si causalité descendante il y a dans les sciences sociales, alors cette dernière doit être essentiellement intersubjective. Le problème est alors de pouvoir la caractériser précisément. Mon idée est d’utiliser la concept d’équilibre corrélé comme instrument. Lire la suite

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Emergence et causalité descendante : au-delà des agent-based models

C.H.

J’ai eu une intéressante discussion avec un de mes co-auteurs/co-blogueurs la semaine dernière au sujet du concept d’émergence en sciences sociales, sujet déjà abordé à plusieurs reprises sur ce blog. Notre discussion a révélé la grande difficulté à cerner ce concept dont la définition s’avère flottante d’une discipline à l’autre, voire d’un auteur à un autre. Nous sommes finalement parvenu à nous comprendre et à nous mettre d’accord (je crois), et j’aimerai reprendre un certain nombre de points abordés au cours de la discussion. Lire la suite

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Pour combattre la corruption, il suffit de la légaliser (ou presque)

C.H.

Kaushik Basu, économiste en chef au ministère des finances en Inde, a une solution radicale pour combattre la corruption en Inde et ailleurs (via Marginal Revolution) : légaliser le fait de payer un pot-de-vin lorsque c’est le seul moyen pour le payeur de pouvoir entamer ou continuer une activité par ailleurs totalement légale. Par exemple, si vous avez payé votre ticket de bus et qu’un controlleur vient vous demander de payer un supplément pour pouvoir rester dans le bus et ne pas être verbalisé :

The central message of this paper is that we should declare the act of giving a bribe in all such cases as legitimate activity. In other words the giver of a harassment bribe should have full immunity from any punitive action by the state.

It is argued that this will cause a sharp decline in the incidence of bribery. The reasoning is that once the law is altered in this manner, after the act of bribery is committed, the interests of the bribe giver and the bribe taker will be at divergence. The bribe giver will be willing to cooperate in getting the bribe taker caught. Knowing that this will happen, the bribe taker will be deterred from taking a bribe.

Le raisonnement est donc extrêmement simple : en légalisant le fait de payer un pot de vin, le payeur a ensuite la possibilité de dénoncer la personne qui l’a sollicité. Comme le demandeur de pot-de-vin le sait, celui-ci sera dissuadé d’en demander un dès le début. C’est une bonne idée mais, pour fonctionner, encore faut-il que les officiels mettent en application la loi et sanctionnent le demandeur de pot-de-vin. Comme Basu le met lui-même en avant dans cet excellent ouvrage, une loi en elle-même ne change pas le « jeu » auquel jouent les individus, elle ne peut que modifier les croyances et les anticipations. Dès lors que la corruption gangrène jusqu’aux niveaux les plus élevés des pouvoirs publics, il n’est pas sûr qu’une loi soit suffisante pour modifier les anticipations de chacun.

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L’institutionnalisme en économie

C.H.

Pour information, j’ai rédigé une notice pour le « Dictionnaire de théorie politique » (ou Dicopo) portant sur l’institutionnalisme en économie. Je fais le tour de la diversité des approches institutionnalistes, même si j’ai du faire certains choix pour ne pas alourdir excessivement l’article.

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