Y = C + I + G + NX

Très intéressante tribune de Greg Mankiw dans le New York Times. Mankiw se demande ce que Keynes aurait recommandé face à une telle crise économique. D’un point de vue keynésien, toute crise économique appelle à une relance de la demande effective. Comme le revenu global (Y) est égale à la consommation (C), aux investissements privés (I), aux dépenses publiques (G) et aux exportations nets (NX), toute relance de la demande doit intervenir dans l’un de ces quatre domaines. Au vu de la période, on peut escompter que C et I vont avoir plutôt tendance à baisser. Il en va de même pour les exportations (NX), la crise mondiale induisant une baisse de la demande dans les autres pays. Par conséquent, le remède keynésien consiste à accroître les dépenses gouvernementales via des investissements publics (G). Les divers plans de relance actuellement en préparation dans les principaux pays s’inscrivent apparemment dans cette perspective. Krugman est, parmi les économistes, celui qui défend le plus ardemment cette vision depuis quelques semaines. Voir par exemple ce billet où Krugman défend l’idée qu’il est préférable que l’accroissement des dépenses publiques soit excessif plutôt qu’insuffisant puisque, si dans ce dernier cas, la crise ne serait pas résolue, dans le premier l’inflation générée par l’excès d’investissements publics pourrait être facilement combattue par une hausse des taux d’intérêt.

Bien que d’obédience plutôt keynésienne, Mankiw se montre sceptique face à cette stratégie de relance et s’inquiète de l’impact à long terme en terme de déficit public et d’endettement. Mankiw reconnait par ailleurs que la Fed dispose de très peu de marges de manoeuvre sur le plan monétaire étant donné que les taux d’intérêt sont déjà extrêmement bas. Elle a toutefois une stratégie à sa disposition : fixer une cible pour les niveaux des taux d’intérêt à long terme et s’engager à les maintenir bas durablement. Plus largement, il s’agit de faire en sorte que les agents anticipent que la Fed ne laissera pas s’installer la déflation.

Il n’y a donc pas consensus concernant le bon remède à adopter même si, actuellement, tout le monde semble keynésien. Enfin, pas tout à fait tout le monde. Don Boudreaux de Cafe Hayek estime que dépenser plus aujourd’hui (ou manipuler les taux d’intérêt) ne fait que reculer l’adaptation de l’économie aux nouveaux fondamentaux dont l’évolution se reflète au travers des changements dans les prix relatifs. Pour comprendre l’argument de Boudreaux, il faut avoir à l’esprit la théorie autrichienne du cycle (pour une modeste critique, voir ici) : la crise économique est fondamentalement la traduction d’un réajustement du prix de certains actifs dont la valeur s’était écartée de son niveau naturel du fait de distortions générées par la politique monétaire. La crise économique (le « bust ») ne serait que le réajustement nécessaire et inévitable de ces prix. De ce point de vue, stimuler artificiellement la demande ne peut que réallonger cet ajustement. Le problème de cette thèse c’est qu’elle repose plus ou moins implicitement sur l’idée qu’il existerait un prix « naturel » pour chaque bien et actif : toute déviation à long terme de ce prix ne serait pas soutenable. D’une certaine manière, cela est fondamentalement vrai puisque l’on peut interpréter l’éclatement des bulles spéculatives comme un tel phénomène de réajustement. 

Le problème de ce raisonnement, c’est qu’à mon avis il sous-estime l’importance des anticipations. Je m’explique : nous vivons en fait dans un monde d’équilibres multiples. Il s’agit d’un monde où la situation peut être durablement très bonne ou très mauvaise en fonction de ce qui s’est passé à un moment précis. Il s’agit d’un monde de dépendance du sentier : un événement mineur à un moment t peut faire évoluer le système vers des trajectoires radicalement différente. Une économie peut ainsi facilement se retrouver dans une trappe : si j’anticipe que la situation économique sera mauvaise dans les années à venir, je vais renoncer à créer mon entreprise ou à investir. Du coup, un certain nombre d’emplois ne seront pas créés. La demande globale est donc plus faible ce qui, toute chose égale par ailleurs, diminue les incitations à investir. Parallèlement, du fait de la mauvaise situation sur le marché du travail, les agents sont moins incités à investir en capital humain (ou au contraire à sur-investir) ce qui tend à diminuer le stock de compétences et de savoir-faire dans l’économie. La productivité (ou l’efficacité marginale du capital pour reprendre un concept keynésien) décline et incite d’autant moins à investir, etc. C’est typiquement le genre de trappe structurelle qu’un phénomène conjoncturel comme une crise économique peut induire. A l’inverse, si les agents anticipent que la situation va s’améliorer, l’économie peut sortir de ce mauvais équilibre pour en atteindre un autre. Le problème de la thèse autrichienne, c’est qu’elle ignore ce genre de phénomène de causalité cumulative en postulant qu’il existerait un sentier naturel de croissance déterminé par le partage consommation/investissement dans une économie.

Maintenant, le point de vue keynésien, notamment celui du « fine-tuning », pose aussi des problèmes. Je suis d’ailleurs étonné que quelqu’un comme Krugman fonde (en apparence) toute son argumentation sur un modèle macroéconomique aussi rudimentaire qu’IS/LM. L’importance des considérations microéconomiques est complétetement ignorée : accroître (G) ne fait pas mécaniquement augmenter le revenu global (Y), surtout sur le moyen et long terme. D’une part, il faut bien cibler la destination des dépenses publiques, et ça n’est pas une tâche aisée (se contenter de sauver des secteurs en difficulté est de ce point de vue la pire des décisions possibles) ; d’autre part, il faut surtout que la relance soit suffisament crédible pour orienter dans le bon sens les anticipations des agents. C’est la raison pour laquelle l’argumentation de Mankiw me semble supérieure : elle prend en compte ce point fondamental.

Par ailleurs, quelque chose qui n’a (presque) rien à voir : je suis très content de lire sous la plume de Mankiw cela : « In my view, the key to regulatory reform is not trying to predict the future with more accuracy but, instead, making the system more robust so that the economy functions better when the unpredictable inevitably occurs. In other words, our focus needs to be not on what will happen but on what might happen ». Cela semble coller avec mon interprétation des crises financières comme des catastrophes naturelles inévitables (quoi ? ça fait pas de mal de se la raconter de temps en temps !).   

6 Commentaires

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6 réponses à “Y = C + I + G + NX

  1. Gu Si Fang

    Je me demande quoi lire sur la politique budgétaire (pour ne pas mourir idiot…).

    Il y a trois chapitres sur le sujet dans Principles of Macroeconomics de Mankiw :
    20. The influence of monetary and fiscal policy on aggregate demand
    21. The short-run tradeoff between inflation and unemployment
    22. Five debates over macroeconomic policy

    Ca vous paraît bon? Un autre suggestion?

  2. C.H.

    Je n’ai jamais lu les Principes de Mankiw de manière approfondie, juste jeter des coups d’oeil plus ou moins attentifs. De toute façon, je pense que ça ne peut pas être un mauvais point de départ. Ensuite, pour approfondir, je ne sais pas trop vu que ce n’est pas mon domaine. Vous pouvez aussi aller voir du côté de quelques bons manuels de macro en français, comme par exemple l’ouvrage collectif en deux tomes dirigé par Jean-Olivier Hairault, « Analyse macroéconomique ». Il m’avait été très utile pour préparer mon agreg. je crois me souvenir qu’il y avait pas mal de choses sur la politique budgétaire.

  3. « Le problème de cette thèse c’est qu’elle repose plus ou moins implicitement sur l’idée qu’il existerait un prix « naturel » pour chaque bien et actif »

    Euh, non, là vous inversez complètement le raisonnement autrichien. Il n’y a pas de prix « naturel » entraînant un bon fonctionnement de l’économie, mais le contraire: une économie libérée de distorsions fait émerger les prix plus naturellement.

  4. merci pour les réfs et pour ce billet très intéressant !

  5. une question un peu candide : pour quelle raison faudrait il absolument que si dans un cadre précis, C et I baissants, alors il faut faire qqch pour que Y soit constant voire grimpe ?

  6. Axonn

    Euh, Vicnent, ça doit être parce que faire baisser Y, c’est une récession. Et une récession, c’est une récession.

    Et encore plus simplement : que C baisse, ça signifie que les gens vivent de manière moins confortable.

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