Archives de Tag: économie comportementale

Analyse coût-bénéfice, paternalisme et économie comportementale

Je travaille actuellement sur un papier portant sur l’introduction de considérations paternalistes en économie normative, et plus précisément sur l’articulation entre la définition du bien-être comme satisfaction des préférences, caractéristique de l’économie du bien-être standard, et les débats sur le paternalisme et l’autonomie qui se développent depuis quelques années suite aux travaux de Thaler et Sunstein sur le « paternalisme libéral ». Un aspect intéressant est qu’une partie des économistes (pas tous néanmoins) qui défendent une approche plus ou moins paternaliste utilisent toujours la définition standard du bien-être (comme par exemple Douglas Bernheim et Antonio Rangel dans leurs travaux sur la « behavioral welfare economics »). Cela semble paradoxal car la définition du bien-être comme satisfaction des préférences a été historiquement fondée sur un principe de « souveraineté du consommateur » aux antipodes du paternalisme.

Au-delà des développements de l’économie comportementale et des réflexions sur la paternalisme libéral, ce qui motive cette réflexion est également l’importance de cette problématique du point de vue de l’analyse coût-bénéfice. Cette dernière occupe une place centrale dans les pays anglo-saxons, et plus particulièrement aux Etats-Unis où les agences fédérales ont l’obligation de mener une analyse coût-bénéfice dès lors que la réglementation envisagée atteint une certaine échelle. La mesure de ces coûts et bénéfices est évidemment un problème méthodologique et théorique majeur. Traditionnelement, ils sont mesurés en termes de disposition à payer et de disposition à accepter, autrement quelle valeur monétaire un agent économique accorde à la mise en oeuvre d’un projet ou au contraire au statu quo. La connexion avec la définition du bien-être en termes de satsifaction des préférences est évidente : si l’on considère que les dispositions à payer/accepter des agents dépendent de leurs préférences, l’analyse coût-bénéfice amène ni plus ni moins à mesurer le bien-être pour déterminer l’alternative qui le maximise.

L’introduction de considérations paternalistes dans le cadre de l’analyse coût-bénéfice peut être concrètement illustrée. Ainsi, l’année dernière aux Etats-Unis, la Food and Drug Administration (FDA) a mené une analyse coût-bénéfice concernant l’inscription d’avertissements conernant les dangers du tabac sur les paquets de cigarettes (voir ce billet sur Orgtheory, dont est issue la photo ci-dessous) :

https://orgtheory.files.wordpress.com/2014/12/smokers.jpg

Dans son analyse, la FDA a accordé une grande importance à la perte de bien-être générée par ses avertissements, en raison de la supposée baisse du plaisir lié au fait de fumer qui en résulte. On peut considérer ici que la FDA a apppliqué à la lettre le principe de souvenraineté de consommateur. Mais ce qui motive la réflexion de mon article est la critique développée par une équipe d’économistes dans laquelle figure notamment Thomas Schelling et Daron Acemoglu. Dans la section consacrée à la mesure du surplus du consommateur, ces économistes écrivent ainsi (p. 12 et suivantes) :

Once smokers begin smoking, extensive behavioral economic and psychological research shows that their decision to continue to smoke are time inconsistent, satisfying their short‐run desire for immediate gratification rather than their long‐run desire for good health, then later regretting these decisions. Data from the 2002 wave of the ITC‐US Survey show that more than nine out of ten smokers agreed or strongly agreed with the statement « If you had to do it over again, you would not have started smoking » (Fong, et al., 2004). Similarly, CDC reports that in 2010, nearly seven out of every ten smokers reported that they wanted to quit smoking completely and more than half of all smokers stopped smoking for at least one day because they were trying to quit smoking (CDC, 2011). Yet only 2.7 percent of smokers quit each year (Warner and Mendez, 2010).

These data strongly suggest that many, and likely the vast majority of smokers do not find smoking ‘pleasurable’ and derive little ‘consumer surplus’ from smoking. Instead, most continuing smokers are avoiding the withdrawal symptoms they would experience if they were able to stop smoking and break the addiction that most regret having ever started. Indeed, Gruber and Mullainathan (2005) find that the self‐reported happiness of potential smokers rises when cigarette taxes are increased. This is consistent with quitting causing an increase, rather than a reduction, in consumer surplus. Note that smoking literally rewires the brain (Arain, et al. 2013), a phenomenon not familiar to many economists but indicative of a biological barrier to smokers’ exerting the self‐control that is essential in the model of rational consumer behavior.

In discussing the issue of how to treat lost consumer surplus in this type of economic impact analysis, we decided that it was most informative to separate smokers into those who became regular smokers before the legal age of smoking, and those who become regular smokers thereafter. For the former group, society has clearly decided that the decision to initiate smoking is an irrational decision and any changes in their conventionally‐calculated consumer surplus resulting from changes in their tobacco use in response to GWLs or other actions should not be counted as a cost in the economic impact analysis of FDA’s rules on tobacco. This is illustrated by laws regulating youth access to tobacco products, including FDA enforcement of a national legal purchase age of 18 for tobacco products over which it has jurisdiction. We refer to this as the ‘principle of insufficient reason’ approach and argue that the benefits to those who started using tobacco products regularly before 18 years of age and who quit in response to FDA regulatory actions should not have any offset for lost consumer surplus.

(…)

For adult initiators, our consensus is that the larger failure is their inability to quit, even when that is their long run plan ‐ what we call the self‐control problem. In the simplest model, adults would smoke even if the pleasure they derive from smoking is less than the costs they incur if those future costs are excessively discounted, a calculus further complicated by addiction. If smoking is an addiction‐related, impulsive behavior, then GWLs could significantly affect how and whether such impulses are turned into smoking behavior. The behavioral economics literature has formalized the time‐inconsistencies that impede smokers’ quit attempts in two key theoretical concepts: present bias and projection bias. Present bias is the tendency to systematically overvalue immediate costs and benefits relative to those in the future, leading to impulsivity and self‐control problems (Laibson, 1997). Projection bias is the tendency to underpredict how much a person’s preferences will change in the future; that is, smokers may underpredict the degree to which they will value being smoke‐free (Lowenstein, et al., 2003).

(…)

Finally, as highlighted by Laux (2000), the importance of peer effects in smoking cause the amount of consumer surplus to be partly determined by societal smoking rates. Because of this, regulations that lead smokers to quit can lead to gains, or ‘negative losses,’ in consumer surplus. While peer effects are particularly important for young people (USDHHS, 2012), growing evidence indicates that they are also important for adults (e.g., Christakis and Fowler, 2008). How consumer surplus is affected by peer influences largely depends on social norms about smoking. As anti‐smoking norms get stronger, smokers are increasingly marginalized, implying that quitting smoking will enhance an individual’s well‐being. In the instance of the GWLs, this reflects the fact that decisions to quit smoking are made voluntarily by individuals. Note that peer effects are likely to be especially important among the low‐income and less educated, the populations with higher smoking prevalences.

L’analyse repose sur un savant mélange de résultats expérimentaux constitutifs de l’économie comportementale et de considérations normatives et évaluatives concernant la nature du bien-être. Ce dernier est tantôt défini en termes de plaisir ou de bonheur, tantôt en termes de satisfaction de préférences « rationnelles ». On a même l’idée que la satisfaction des préférences de certains « selves », que l’on identifie aux décisions prises avant l’âge de 18 ans, ne doivent pas être prise en compte dans le calcul du surplus du consommateur et donc dans la mesure du bien-être.

Au-delà du problème de la détermination de la rationalité des préférences ou de la justification du poids accordé aux décisions prises à tel ou tel moment de la vie, il est intéressant de noter que la question de l’autonomie (constituve du principe de souveraineté du consommateur) disparait complètement. Est-ce qu’il faut introduire cet aspect dans l’analyse coût-bénéfice (la perte d’autonomie étant alors un coût) ? Ou bien comme une contrainte au sein de laquelle s’insère l’analyse coût-bénéfice (on s’appuie sur les résultats de l’analyse dans la limite du respect d’un principe de liberté minimale) ? La difficulté que posent ces questions du point de vue de l’économie normative rappelle les limites d’une approche purement welfariste, largement mise en avant par Amartya Sen depuis les années 1970, lorsqu’il s’agit d’intégrer des considérations éthiques qui ne se réduisent pas à la satisfaction des préférences.

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Economie, psychologie et « multiple selves » : un programme de Nash intra-personnel ?

En théorie des jeux, le Nash program renvoie à l’ensemble de la littérature de ces 40 dernières années visant à reformuler les solutions axiomatiques dans les jeux coopératifs (en particulier, dans le bargaining game) en termes de solutions dans le cadre de jeux non-coopératifs. La caractéristique des jeux coopératifs est qu’il est supposé que les joueurs peuvent former des coalitions au travers d’accords contraignants. Cette possibilité n’existe pas dans les jeux non-coopératifs. Plus exactement, l’ensemble de la négociation qui précède tacitement le jeu coopératif doit être explicitement modélisé dans un jeu non-coopératif en forme extensive. L’objectif est de s’assurer que la solution axiomatique du jeu coopératif peut être « implémentée » dans le cadre d’un jeu non-coopératif en tant qu’équilibre parfait en sous-jeux (ou équilibre séquentiel si l’information est incomplète/imparfaite). En particulier, cela suppose que les promesses ou les menaces des joueurs soient crédibles. Une bonne illustration de ce programme est fournie par le modèle de Rubinstein qui montre que, dans le cadre d’un jeu séquentiel à chaque joueur fait une offre à l’autre à tour de rôle, les joueurs implémenterons la solution de Nash sous certaines conditions concernant leurs préférences et la procédure de négociation.

Dans un jeu, les joueurs sont des agents. Ces derniers sont identifiés par le fait qu’ils peuvent choisir la stratégie à adopter (un agent est une unité de décision) et par leurs préférences, lesquelles sont représentées par une fonction d’utilité associant à chaque profil stratégique (un vecteur de stratégies jouées, une par joueur) un nombre réel. Un point essentiel est que cette approche présuppose que les joueurs sont rationnels dans un sens bien précis : leurs préférences sont cohérentes, c’est-à-dire notamment qu’elles satisfont l’axiome de transitivité. Cela est vrai pour les jeux statiques, mais aussi pour les jeux répétés où il est généralement supposé que les joueurs actualisent leurs gains futurs de manière exponentielle. Cette dernière hypothèse revient à supposer que les préférences temporelles des agents sont stables et cohérentes. Autrement dit, dans la cadre d’un jeu, on fait toujours l’hypothèse que les joueurs sont des entités bien identifiées et unifiées, dans le sens où on peut les modéliser comme des centres de décision indépendants les uns des autres et dont la structure est stable à travers le temps. Cela est vrai quelque soit l’identité des agents : individus, ménages, entreprises ou Etats.

L’économie comportementale contribue évidemment à remettre en cause la conception de l’individu comme un agent, dans le sens évoqué au-dessus. Les individus auraient ainsi tendance à révéler des préférences incohérentes, notamment dans le cadre de problèmes de décision intertemporelle. Dans ce dernier cas, les individus actualiseraient leurs gains futurs non pas de manière exponentielle, mais de manière hyperbolique, ce qui peut engendrer des inversions de préférences. L’identification des individus à des agents dotés de préférences stables et cohérentes dans le cadre d’un jeu peut donc s’avérer discutable. En parallèle, les économistes ont développé depuis plusieurs années maintenant des modèles « multiple selves » visant à rendre compte des biais comportementaux des individus (un exemple, un autre). L’idée basique est la suivante : les individus peuvent en fait s’appréhender comme une communauté d’agents interagissant d’une manière spécifique. L’interaction de ces agents produit alors, au niveau individuel, un comportement individuel observable et plus ou moins cohérent. Dans ces modèles, les agents sont des « selves », c’est-à-dire des personnalités qui peuvent être identifiées sur le plan diachronique (la personnalité d’aujourd’hui, celle de demain, etc.) ou sur le plan synchronique (la personnalité consumériste, la personnalité éthique, etc.). En tant qu’agents, ces personnalités sont dotés de préférences cohérentes et stables, et peuvent donc s’appréhender comme des centres de décision. Sur le plan philosophique, à la fois ontologique et éthique, l’ouvrage Reasons and Persons de Derek Parfit fournit un ensemble d’arguments pouvant permettre de justifier ce type de modélisation.

Il y a un aspect intéressant concernant cette stratégie de modélisation que je mettrai de côté ici, mais qui est significatif sur la nature de l’économie comme science distincte de la psychologie : même si ces modèles permettent de modéliser des mécanismes au moins partiellement psychologiques, ils sont surtout pour les économistes un moyen de réaffirmer la spécificité méthodologique et théorique de leur discipline : l’économie, c’est d’abord la science qui étudie les interactions entre des agents dans un cadre « institutionnel » donné. Loin de rapprocher l’économie et la psychologie, il me semble que ces modèles sont au contraire un moyen de réaffirmer l’autonomie de l’économie (et même sa domination). L’autre aspect qui m’intéresse plus dans ce billet est que l’on peut voir ces modèles comme les prémices d’une sorte de Nash program au niveau intra-individuel. Finalement, en supposant que l’individu est un agent, la théorie des jeux non-coopératifs présuppose que les différents selves d’un individu se sont d’ores et déjà entendus pour se coordonner et coopérer. Un jeu non-coopératif modélise ainsi les interactions entre des communautés de selves en faisant l’hypothèse que chaque communauté poursuit un objectif stable et identifié et agit de manière cohérente. Mais, de la même manière que le Nash program a consisté à ouvrir la boîte noire des coalitions d’individus et de leur formation, on peut imaginer à terme un programme en théorie des jeux visant à ouvrir la boîte noire qu’est l’individu et à insérer les interactions entre selves d’un même individu dans les interactions plus larges entre individus.

Cela peut paraître être tiré par les cheveux mais à la réflexion ça ne l’est pas tant que ça. D’une part, c’est le prolongement logique des modèles multiple selves à partir du moment où l’on prend ces derniers au sérieux. Comme je l’ai dit plus haut, il y a des arguments métaphysiques et éthiques qui soutiennent l’idée qu’il n’est pas aberrant de considérer que l’individu est réellement une telle communauté de personnalités. D’autre part, certaines approches récentes en théorie des jeux poursuivent déjà implicitement ce programme. Considérons l’approche en termes de team reasoning développée Michael Bacharach, Robert Sugden et d’autres. Dans le cadre de cette approche, les individus sont des agents qui ont la possibilité d’agir soit sur la base de leurs préférences individuelles, soit sur la base de préférences associées à un collectif. Dans cette optique, on peut alors plutôt considérer que les individus sont plutôt composés de deux agents distincts (l’un avec les préférences individuelles, l’autre avec les préférences collectives). Qu’est ce qui va déterminer que l’individu agit sur la base d’un ordre de préférences plutôt qu’un autre ? Probablement, les interactions entre les selves d’un même individu mais aussi, pourquoi pas, entre les selves des différents individus. On peut ainsi considérer que les selves sont autant de dispositions comportementales qui sont activées en fonction du contexte interpersonnel et institutionnel. Ce qui en jeu ici c’est la question de la formation de l’individualité et de la personnalité des individus au travers de leurs interactions sociales. Tel pourrait être l’objet de ce futur Nash program intra-personnel.

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Economie comportementale, économie normative et le « problème de la réconciliation » : un faux problème ?

Dans un article de 2012, R. Sugden et B. McQuillin s’intéressent aux tensions qui se développent entre économie positive et économie normative en raison des résultats de l’économie comportementale. Cette dernière tend à indiquer que les individus sont « irrationnels », dans le sens où leurs choix ne sont conforment pas aux prédictions de la théorie de l’utilité standard. Notamment, les choix des individus manifestent des incohérences temporelles (en révélant en particulier une inversion des préférences). Par ailleurs, les attitudes des individus à l’égard du risque et de l’incertitude ne semblent pas se conformer aux axiomes de la théorie de l’utilité espérée. Ici encore, il semble tout simplement que les préférences des agents sur des loteries ne répondent pas à un critère de cohérence minimum.* Lire la suite

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Instabilité des préférences en économie positive et normative

Il est bien connu que le concept de préférence est absolument central dans l’analyse économique moderne, c’est-à-dire depuis au moins Pareto. Tous les modèles micro- et macroéconomiques reposent sur une spécification des préférences des agents (le plus souvent représentées par une fonction d’utilité) à partir de laquelle les économistes dérivent des conclusions sur le problème qui les intéressent. La plupart du temps, l’économiste ne prend pas la peine de justifier la spécification particulière qu’il utilise et, surtout, fait l’hypothèse implicite ou explicite que ces préférences sont stables. On dit ainsi souvent qu’en économie, les préférences sont « données », c’est-à-dire exogènes. Dans un récent billet, Noah Smith s’inquiète : que se passe-t-il si, comme semblent l’indiquer tout un ensemble de travaux expérimentaux, les préférences des agents sont en réalité instables et changent à travers le temps de manière a priori plus ou moins aléatoire ? La conclusion de Smith est assez radicale (dans bien des cas, cela rend l’analyse économique non pertinente), et je voudrais la tempérer un peu, notamment en distinguant les conséquences de l’instabilité des préférences en économie positive d’une part, en économie normative d’autre part. Lire la suite

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Review of Behavioral Economics

Une nouvelle revue, dénommée Review of Behavioral Economics, a récemment vu le jour. Comme son nom l’indique, elle est essentiellement consacrée à l’économie expérimentale et comportementale :

The Review of Behavioral Economics (ROBE) seeks to extend and develop the study of behavioral economics. The journal encourages a transdisciplinary and pluralistic perspective in the tradition of the late Herbert A. Simon, long recognized as the founder of modern behavioral economics, for whom the concepts of bounded rationality and satisficing were based on psychological, cognitive, and computational limits of human knowledge and behavior, the decision-making environment, and the evolutionary capabilities of the human being. ROBE sees behavioral economics embedded in a broader behavioral science that includes most of the social sciences, as well as aspects of the natural and mathematical sciences.

The journal is open to a variety of approaches and methods, both mainstream and non-orthodox, as well as theoretical, empirical, and narrative. While empirical work may rely on laboratory or field experiments, published data, case studies, surveys, or simulations, we encourage authors to emphasize the strength and importance of relationships observed and statistically analyzed in their data. Discussion of policy implications of any findings is encouraged.

Le premier (double) numéro comporte, entre autre, un article de Vernon Smith et Bart Wilson sur le spectateur impartial smithien et un article de Robert Frank, Adam Seth Levine et Oege Dijk sur les « cascades de dépenses ». Ce dernier article apporte un nouvel argument à la thèse selon laquelle les inégalités, en générant des déséquilibres en termes d’épargne, ont contribué de manière significative à l’émergence de la crise financière.

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Transitivité, rationalité et éthique : suite (mais pas forcément fin)

Dans un récent billet, je suis revenu sur le principe de transitivité et sur son statut axiologique dans le domaine de l’éthique. Il y a eu plusieurs commentaires intéressants et comme je pense que l’argument du billet était un peu confus, j’aimerais revenir dessus et le compléter, ce qui pourrait permettre de répondre (en partie) aux commentaires. Lire la suite

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Transitivité, rationalité et éthique

Chers lecteurs, en ce chaud mois de juillet, je voudrais vous soumettre ma réflexion sur le problème philosophico-logique suivant :

Peut-on de manière cohérente considérer comme vraies les deux propositions suivantes

a)      Le fait que les préférences (révélées par les choix) des individus ne soient pas transitives ne justifie pas des interventions (paternalisme) visant à corriger le comportement de ces individus.

b)    Toute théorie éthique téléologique (i.e. conséquentialiste), pour comparer deux états, doit utiliser une relation C satisfaisant le principe de transitivité.

De prime abord, les propositions (a) et (b) semblent contradictoires car la même propriété de transitivité est dans un cas imposée comme une contrainte à une doctrine éthique conséquentialiste, alors dans l’autre on lui refuse le pouvoir de fonder une doctrine paternaliste et donc également conséquentialiste. J’apporte ci-dessous quelques éléments de réflexion afin de suggérer que ces deux propositions ne sont pas contradictoires. Lire la suite

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Nouveau working paper : « From Utilitarianism to Paternalism »

J’ai eu l’occasion d’écrire sur ce blog un certain nombre de billets sur l’économie comportementale et le paternalisme, avec comme idée générale la thèse selon laquelle les conclusions normatives et morales des économistes comportementaux ne pouvaient être déduites logiquement de leurs résultats empiriques. J’ai (enfin) pris le temps de rassembler mes idées dans un document de travail intitulé « From Utilitarianism to Paternalism: When Behavioral Economics Meets Moral Philosophy« . Je dois présenter ce papier au prochain colloque de l’AFEP en juillet. Tous les commentaires sont les bienvenus !

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Le paternalisme est-il réellement inévitable ?

Dans leur article pionnier sur le « paternalisme libéral » (libertarian paternalism), Cass Sunstein et Richard Thaler défendent l’idée que le paternalisme est inévitable, que ce soit de la part d’organisations privées telles que les entreprises, ou de l’Etat. En conséquence, puisqu’on ne peut éviter toutes les formes de paternalisme, autant mettre en place celui qui préserve au mieux la liberté de choix et la souveraineté du consommateur, en l’occurrence le paternalisme libéral. Lire la suite

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Economie comportementale et bien-être

Soit un produit S, dont la consommation par une partie N des membres d’une population P diminue le bien-être de l’ensemble des autres membres M de P. Autrement dit, la consommation de S par N génère des externalités négatives. Dans l’hypothèse où les coûts de transaction ne sont pas trop élevés, et si l’on suppose que N et M peuvent choisir collectivement de manière rationnelle et optimale (i.e. pas de problème d’action collective et d’agrégation des préférences), alors on peut imaginer une négociation entre N et M débouchant sur une transaction où M payent N pour que ces derniers réduisent leur consommation de S. Plus exactement, si l’utilité totale que N tirent de leur consommation de S dans une quantité q est UN(q) = u et que le désagrément lié à cette même consommation génère une perte d’utilité chez M de VM(q) = v, alors les membres de M proposeront un paiement x tel que VM(x) ≤ v aux membres de N pour que ces derniers cessent de consommer S. Si UN(x) ≥ u, ils accepteront. Le même raisonnement est applicable dans le cas où il s’agit non pas de supprimer la consommation de S, mais de la réduire d’un montant ∂q (dans ce cas, il faut que la diminution de la consommation ∂q satisfasse les inégalités suivantes : VM(x) ≤ VM(∂q) = v’ et UN(x) ≥ UN(∂q) = u’).

Supposons maintenant que M et N sont les mêmes personnes mais à deux moments différents dans le temps. Pour clarifier, on notera Nt et Nt+1 les deux mêmes populations se succédant dans le temps. Au temps t, les membres de N ne souhaitent pas consommer S. Au temps t+1, les membres de N souhaitent consommer S. Mais comme Nt et Nt+1 sont les mêmes personnes, la consommation de S par Nt+1 a un impact (négatif) sur Nt. On a donc un nouveau problème d’externalité négative. Peut-on imaginer le même mécanisme de négociation et de marchandage que ci-dessus pour régler le problème ? La réponse est non car l’éventuel « contrat » qui pourrait être conclu ne pourrait être mis en application : quand bien même Nt et Nt+1 pourraient contracter en  t pour réduire la consommation de S en t+1, Nt+1  n’auraient  aucun intérêt à respecter l’accord. Il en va de même pour les vendeurs du produit S. La solution « coasienne » n’étant pas disponible, la taxation voire l’interdiction pure et simple de S semble être la seule solution pour remédier au problème de l’externalité.

Comme le laisse entendre Jeff Ely, taxer les sodas, ou interdire leur vente dans un volume supérieur à une certaine limite comme a voulu le faire le maire de New York, pourrait se justifier par ce raisonnement. Sauf qu’en réalité les circonstances sont un peu différentes. Est-on sûr que les personnes qui consomment les sodas et que celles qui demandent la régulation de leur consommation sont les mêmes personnes ? Dans le cas d’espèce, on peut fortement en douter. Supposons que ce ne soit pas le cas. Nous nous retrouvons alors dans la configuration du premier paragraphe, avec deux populations N et M bien distinctes. Il y a toutefois une différence notable : il est très difficile de considérer que la consommation de S par N génère des externalités négatives sur M. Autrement dit, puisqu’il n’y a pas d’externalité, la situation actuelle (caractérisée par un certain niveau q de consommation par N) est d’ores et déjà optimale au sens de Pareto. L’intervention du législateur ou du politique ne peut alors se justifier que de deux manières :

* on parvient à démontrer que les conséquences de la consommation de S par N a des effets sur la santé de N (obésité, diabète, etc.) et que ces effets entraînent à leur tour un coût économique pour les membres de M. C’est possible, en particulier dans un système où la santé serait socialisée. Mais ce n’est pas certain : la consommation de certains produits peut réduire l’espérance de vie de telle sorte que in fine des économies seront faites par une diminution des dépenses pour traiter des maladies liées à la vieillesse ;

* on invoque un critère éthique ou normatif particulier autre que le critère de Pareto pour justifier malgré tout la régulation de la consommation de S. C’est une possibilité, mais il faut alors expliciter ce critère et le justifier. L’argument se déplace alors du terrain de l’analyse économique vers celui de la philosophie morale. C’est le problème du versant normatif de l’économie comportementale : il existe peu ou proue de tentatives de justification d’un tel critère alternatif. Le plus souvent, celui-ci reste implicite et mal identifié.

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Pourquoi l’économie comportementale ne conduit pas logiquement au paternalisme

La montée en puissance d’une nouvelle forme de paternalisme, parfois appelé « paternalisme libéral », est l’une des conséquences du développement de l’économie comportementale. A l’image de Gille Saint-Paul, pourtant un farouche opposant à toute forme de politique paternaliste, beaucoup d’économistes considèrent que les résultats de l’économie comportementale, combinés à « l’utilitarisme » constitutif de la science économique standard, conduisent logiquement à la préconisation de mesures paternalistes afin de maximiser l’utilité sociale. Dans ce billet, je vais néanmoins essayer de montrer que l’utilitarisme de la science économique, même associé aux résultats de l’économie comportementale, ne conduit pas nécessairement au paternalisme. Lire la suite

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La rationalité du concept de rationalité

J’ai évoqué l’autre jour l’ouvrage de David Levine, Is Behavioral Economics Doomed?, qui développe une critique sans concession des travaux relevant de l’économie comportementale. Levine montre globalement que nombre de résultats de l’économie comportementale (framing effect, aversion pour les pertes,…) sont le produit du contexte particulier dans lequel sont placés les individus participant aux expériences. Soit les phénomènes en question disparaissent si les individus ont le temps d’apprendre, soit ils ne sont pas nécessairement économiquement significatifs. Surtout, dans la plupart des cas, il s’avère qu’il n’y a pas grand chose que la théorie standard (la théorie du choix rationnel) ne puisse expliquer et que finalement, les résultats expérimentaux tendent plutôt à confirmer la théorie économique. Lire la suite

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L’économie comportementale, c’est sérieux ?

Que penser des résultats de l’économie comportementale ? Pas que du bien (c’est un euphémisme), si l’on en croit ce petit livre de David Levine, Is Behavioral Economics Doomed?. En gros, pour Levine, la validité externe des résultats expérimentaux de l’économie comportementale (i.e. dans quelle mesure ces résultats sont-ils valables en dehors du laboratoire) est douteuse car les biais constatés disparaissent si le jeu est répété suffisamment de fois et, de manière plus générale, l’hypothèse de rationalité et la théorie du choix rationnel sont à la fois plus pertinentes et plus parcimonieuses qu’une explication à base de « biais et d’heuristiques » pour rendre compte de la plupart des phénomènes économiques. Levine n’a d’ailleurs pas trop aimé le dernier livre de Daniel Kahneman, Thinking Fast and Slow (Système 1/Système 2 en français).

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The Great Stagnation

Paul Seabright évoque dans Le Monde une révolution technologique dans l’enseignement supérieur : la prolifération d’initiatives d’enseignements à distance interactifs et ludiques. La plus récente en date est celle de Tyler Cowen et Alex Tabarrok, qui ont lancé la Marginal Revolution University. La MRU proposera divers cours d’économie à partir d’un format consistant en de courtes vidéo librement accessibles. C’est loin d’être une initiative isolée. J’ai moi-même suivi il y a quelques mois un cours de Scott Page sur le « model thinking« . Le cours de Page est l’un des nombreux pouvant être suivis via Coursera.

Seabright conclut son article en affirmant qu’il est « temps que la profession enseignante entreprenne une réflexion approfondie sur ce que la présence physique de l’enseignant apporte d’essentiel à un vrai apprentissage« . La tonalité générale de l’article laisse entendre que finalement, peut-être, on pourrait se passer de l’enseignant dans le cadre de l’apprentissage universitaire, ou à tout le moins faire d’importantes économies d’échelle. Notez au passage que si cela est vrai, et que vous combinez cette idée avec la croyance de plus en plus forte qu’il vaut mieux une recherche dont les moyens sont concentrés sur quelques unités et individus, 90% des enseignants-chercheurs feraient bien de commencer à réfléchir à leur reconversion. Enfin, bref, passons…

Tout en étant à titre personnel plutôt favorable à ce genre d’initiatives, je reste très sceptique sur la substituabilité de l’enseignement à distance et de l’enseignement « classique ». Ou, pour dire les choses plus clairement, je suis persuadé que la présence physique d’un enseignant apporte quelque chose. On peut déjà noter que l’enseignement universitaire à distance n’est pas quelque chose de nouveau. A ma connaissance, cela fait par exemple déjà pas mal de temps que les facs de médecine, qui ne savent plus où mettre leurs étudiants, utilisent ce type de dispositif : un enseignant donne son cours dans un amphi, ce cours est filmé et est retransmit en direct dans un ou plusieurs autres amphis où s’entassent les étudiants qui n’ont pas eu la chance de pouvoir rentrer dans celui où le prof est physiquement présent. Il m’a toujours semblé que les étudiants concernés n’appréciaient guère l’expérience. Il est vrai que les choses sont différentes en ce qui concerne les initiatives dont parle Seabright. On peut en effet suivre les cours chez soi et, surtout, quand on le souhaite, au moment où on est le mieux disposé intellectuellement. Mais c’est peut être précisément là qu’est le problème : dans un format d’enseignement standard,  l’heure du cours est fixée ce qui incite les étudiants à venir ; s’ils ratent le cours, ils ne pourront plus le rattraper. Dans le nouveau format, on suit le cours quand on le souhaite. C’est très bien, mais quid de la procrastination et des autres biais comportementaux dont l’économie comportementale ne cesse de documenter l’existence ?

Je ne sais pas quelle est l’efficience pédagogique de ce type d’enseignement à distance en tant que tel, mais je suis à peu près certain que, du côté de la demande, il a pour inconvénient de ne pas créer une contrainte suffisante pour motiver les étudiants à le suivre de manière assidue. Il serait intéressant de ce point de vue d’avoir des données précises sur le nombre d’inscrits, le nombre de personnes ayant suivi les cours dans leur totalité, et les taux de réussite aux examens. Certes, on pourra toujours rétorquer que c’est un problème de responsabilité individuelle et que cela ne regarde que les étudiants. Mais il en va de même pour l’enseignement que pour n’importe quelle autre activité « économique » : les biais comportementaux peuvent remettre en cause l’efficience d’un dispositif institutionnel ou technologique. Bref, innovation technologique dans l’enseignement c’est sûr, révolution, c’est beaucoup trop tôt pour le dire.

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