Archives de Tag: Rawls

Arrow, choix social et justice sociale

Attention : billet un peu long et technique. La discussion philosophique et théorique commence à peu près à la moitié.

Les économistes sont traditionnellement plutôt sceptiques et critiques concernant l’argumentation développée par John Rawls pour soutenir son fameux principe de différence. Comme je l’ai expliqué dans plusieurs billets ici, le principe de différence correspond à un critère de décision (le maximin) sous voile d’ignorance difficilement justifiable. Rawls lui-même a proposé d’autres défenses du principe de différence, y compris dans Theory of Justice (cf. son chapitre 2), qui ne reposent pas sur l’expérience de pensée du voile d’ignorance. Dans une optique assez différente relevant de la théorie du choix social, Kenneth Arrow a également tenté de proposer une axiomatisation du principe de différence, ou plus précisément de ce qu’il nomme le principe lexicographique du maximin. On trouve la démonstration d’Arrow dans deux articles, l’un de 1977 l’autre de 1978, ayant le même titre : « Extended Sympathy and the Possibility of Social Choice ». L’approche d’Arrow est particulièrement digne d’intérêt, dans la mesure où elle explore les possibilités de la théorie du choix social pour éclairer des problématiques de justice sociale et où elle permet de repérer les éléments clés dans la défense du principe de différence rawlsien. Lire la suite

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Mankiw sur les inégalités

Greg Mankiw propose une réflexion sur le niveau des inégalités économiques, notamment aux Etats-Unis, dans un récent article qui doit paraître dans le Journal of Economic Perspective. L’article est à lire, ne serait-ce que parce qu’il propose une synthèse accessible sur une (la ?) problématique centrale dans les économies modernes. Je développe ci-dessous quelques commentaires critiques. Lire la suite

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Le « mariage pour tous » est-il un mariage ? Sur la notion de règle constitutive en sciences sociales

Contrairement à ce que le titre semble indiquer, ce billet ne va pas discuter à proprement parler de ce sujet hautement délicat du « mariage pour tous ». Mais si je pars de cette actualité brûlante, c’est parce qu’elle illustre à merveille un concept central en philosophie des sciences sociales (et en sciences sociales tout court), celui de règle constitutive. Je vais présenter rapidement le concept et en discuter la pertinence. Dans un prochain billet, je donnerai quelques éléments sur la manière dont on peut rendre compte des règles constitutives, à l’aide notamment de la théorie des jeux. Lire la suite

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Choisir sous voile d’ignorance : Rawls versus la théorie de la décision (3/3)

Troisième et dernière partie du billet ! Lire la suite

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Choisir sous voile d’ignorance : Rawls versus la théorie de la décision (2/3)

Deuxième partie du billet. La troisième et dernière partie demain.

Quelle est la légitimité du critère du maximin ? En quoi se critère est-il plus « moral » qu’un autre ? Est-ce vraiment le critère qu’utiliseraient des individus placés sous voile d’ignorance ? Il faut déjà noter que le maximin n’est bien sûr pas une invention de Rawls puisqu’il trouve son origine dans le théorème minimax de John von Neumann. Ce théorème s’applique à une classe particulière de problèmes de décision, les jeux à somme nulle, c’est à dire où les gains d’un joueur correspondent aux pertes de l’autre. Voici un exemple : Lire la suite

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Choisir sous voile d’ignorance : Rawls versus la théorie de la décision (1/3)

Billet en trois parties. La deuxième et troisième parties seront publiées respectivement demain et après-demain.

John Rawls est principalement connu pour son ouvrage A Theory of Justice qui, comme son nom l’indique, élabore une théorie de la justice. L’ouvrage de Rawls a été très discuté dès sa parution, et continu encore aujourd’hui d’être l’objet de multiples débats, en philosophie mais aussi en économie. Dans cet ouvrage, Rawls défend une approche contractualiste, kantienne et égalitariste de la justice. Il y mobilise plusieurs concepts clés tous susceptibles d’être débattus. Dans ce billet, je vais me concentrer sur un point en particulier sur lequel repose toute la théorie de la justice de Rawls : le critère de décision sous voile d’ignorance, à partir duquel Rawls dérive son fameux principe de différence. Lire la suite

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Mes lectures du moment (11)

Petite liste d’ouvrages dont j’ai commencé la lecture ou bien qui sont au programme dans un avenir proche :

* Social Conventions. From Language to Law, de Andrei Marmor : écrit par un philosophe, ce petit ouvrage propose une théorie des conventions sociales prolongeant celle de David Lewis. Marmor introduit un certain nombre de concepts intéressants, comme la distinction entre conventions profondes et conventions de surface, et au sein de ces dernières, la distinction entre conventions de coordination et conventions constitutives. Marmor analyse ensuite la dimension conventionnelle du langage, de la morale et du droit. Je reviendrai certainement dans peu de temps sur certains points développés dans l’ouvrage.

* The Oxford Handbook of the Philosophy of Mind : avec le développement des sciences cognitives et des neurosciences, la philosophie de l’esprit a pris une nouvelle dimension ces dernières années. Les discussions qui étaient autrefois largement métaphysiques et spéculatives ont aujourd’hui une base scientifique sur laquelle s’appuyer.  Le débat central dans ce champs porte sur le mind/body problem, qui trouve ses racines chez Descartes. Ce débat aborde un certain nombre de concepts clés, y compris en sciences sociales : émergence, survenance, causalité descendante, réductionnisme, etc.

* Political Liberalism, de John Rawls : dans cet ouvrage qui prolonge la réflexion amorcée dans A Theory of Justice, Rawls développe notamment le concept d’équilibre réflexif pour rendre compte de la manière dont des membres d’une communauté dont les valeurs divergent parviennent malgré tout progressivement à s’accorder autour de principes de justice commun.

* Système 1/Système 2, de Daniel Kahneman : traduction française de Thinking, Fast and Slow, il s’agit du premier ouvrage de Daniel Kahneman traduit en français. Kahneman revient sur l’ensemble de ses travaux et décrit la variété des biais et heuristiques qui permettent d’expliquer nos comportements. L’ouvrage paraît le 3 octobre.

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L’élection américaine : une arme pour l’économie expérimentale ?

Note du maître des lieux : l’auteur de ce billet est David Duhamel, contributeur invité qui postera régulièrement  des réflexions et des analyses ici. Vous pouvez trouver une courte présentation de David sur la page de présentation du blog.

David Duhamel

Pour la planète, 2012 est l’année d’une seule élection décisive, celle qui opposera en novembre les Démocrates aux Républicains, Barack Obama à Mitt Romney. On ne saurait trop insister sur l’importance de cette échéance à laquelle, malheureusement, nous, Européens, ne participons pas. Et c’est bien dommage, car depuis 2008 le parti républicain est pris en otage par un mouvement, le Tea Party, qui oblige chacun de ses candidats à se droitiser considérablement. Ainsi, Mitt Romney, autrefois conservateur modéré, a dû, pour emporter la nomination de son parti, faire siennes les positions les plus extrêmes, voire les plus grotesques. En matière économique et sociale, sa victoire se traduirait par une baisse de la fiscalité au profit des plus riches et par un démantèlement de Medicare.

Or, l’électorat du parti républicain est essentiellement constitué de seniors blancs issus des classes moyennes. Ceux-là mêmes qui ont le plus à perdre à un démantèlement de Medicare et à une modification de la fiscalité en faveur des plus riches dont ils ne feront jamais partie. Autrement dit : ils votent contre leurs intérêts. Lire la suite

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Justice fiscale

Imaginez un ensemble de personnes placé sous voile d’ignorance devant s’accorder sur la définition des institutions organisant la société dans laquelle elles vont vivre. Les personnes ne connaissent ni leur future position sociale dans cette société, ni même leur « personnalité » (par exemple, leurs préférences). Les institutions devant être définies concernent tous les aspects de la vie socioéconomique, en particulier la fiscalité et les modalités de redistribution de la richesse. Maintenant, faisons une expérience de pensée et posons-nous la question suivante : peut-on imaginer un critère de décision derrière un voile d’ignorance (le maximin rawlsien débouchant sur le principe de différence, le critère bayesien et l’utilitarisme de règle à la Harsanyi, etc.) qui conduirait à ce que les artistes et les sportifs bénéficient « d’exceptions fiscales », comme par exemple ne pas être soumis à la taxation des revenus très élevés pourtant mis en place sous ce même voile d’ignorance ? Intuitivement, je dirais non (mais je ne demande qu’à être démenti).

Entendons-nous bien, je n’affirme pas que la « taxe Hollande » était une bonne idée économiquement parlant. C’est plutôt une réforme en profondeur de l’ensemble de la fiscalité qui est probablement nécessaire. Par ailleurs, même si l’on peut questionner la pertinence d’un raisonnement sur la justice par le biais du concept de voile d’ignorance, j’aurais tendance à être d’accord avec Ken Binmore pour dire qu’il s’agit d’un outil de réflexion qui permet de révéler nos conceptions profondes de la justice parce qu’il reflète finalement les conditions de vie incertaines de nos ancêtres. Peut-être que la mise en place d’une tranche d’imposition à 75% est une mauvaise idée, mais ce qui l’est encore plus c’est de maintenir cette mesure tout en instaurant des exonérations qui me semble défier le sens commun de la justice, et ceci pour de purs motifs de marchandage politique…

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