Je suis plutôt fan des travaux de Ronald Coase, mais là, je dois dire que cet article est furieusement à côté de la plaque. Coase y regrette que la science économique ne soit pas utile pour les « vrais gens », en particulier pour les entrepreneurs et les managers, et qu’elle se borne à être une « théorie des prix », qui étudie le « problème statique de l’allocation des ressources », pour finalement se constituer en « science des choix ignorant les influences de la société, de la culture, de l’histoire et de la politique ».
Comme c’est typiquement le genre de critique émit par des personnes ne connaissant pas bien la discipline (ce dont on ne peut pas bien sûr soupçonner Coase), il est bon de rappeler certains points :
* la discipline « scientifique » dont la production est sensée s’adresser en partie aux entrepreneurs et aux managers, elle existe mais ce n’est pas l’économie, plutôt les « sciences de gestion ». Pour avoir mis le nez de manière extensive dans les revues scientifiques de gestion du temps où je préparais l’agrégation d’économie-gestion, eh bien, je ne suis pas sûr que les managers et entrepreneurs y trouvent grand chose d’intéressants. Je ne résiste pas à la tentation de remettre le lien vers cet ancien billet de Gizmo, toujours aussi pertinent.
*Il est quand même fort que Coase, précurseur du renouveau institutionnaliste en économie, puisse écrire que « It is suicidal for the field to slide into a hard science of choice, ignoring the influences of society, history, culture, and politics on the working of the economy » alors même qu’il n’y a jamais eu autant de travaux, y compris « mainstream », s’intéressant à l’importance des institutions. Au hasard, on peut regarder du côté de chez Acemoglu et Robinson, qui ne sont pas les premiers venus.
* L’idée qu’une science doit être « utile » est toujours un peu ambiguë. Il est amusant de constater que si on exige souvent de la science économique qu’elle soit utile aux « vrais gens », on peut rarement lire les mêmes requêtes adressées à l’égard de la sociologie ou de l’histoire. La science économique, qui fait partie des sciences sociales, aurait-elle un statut particulier ? Par ailleurs, est-ce que l’on se pose la question de l’utilité pratique de 99% des travaux des physiciens, des biologistes ou des mathématiciens ?
* Enfin, admettons qu’une science se doive d’être utile. Pour qui ? Après tout, les intérêts des individus sont rarement totalement convergents. Dans ce cas, si la science économique peut s’avérer utile pour certains groupes d’agents, cela peut être au détriment d’autres groupes. Il faut alors pondérer les intérêt des uns et des autres, ce qui est typiquement une problématique éthique qui pose des difficultés pour un économiste. Certes, l’économie (le système économique) n’est pas un jeu à somme nulle. Il y a des configurations où la recherche de l’avantage mutuel est possible pour l’ensemble des agents. Dans ce cas, la science économique peut effectivement avoir une fonction prescriptive. Mais même dans ce type de configuration, il faut se méfier. Un bon exemple est donné par l’économie comportementale et le « paternalisme libéral » : comment doit-on définir les « vrais » intérêts des agents ? Les agents eux-mêmes ne sont-ils pas souverains ?
Coase termine son article en écrivant : « Market economies springing up in China, India, Africa, and elsewhere herald a new era of entrepreneurship, and with it unprecedented opportunities for economists to study how the market economy gains its resilience in societies with cultural, institutional, and organizational diversities« . Tout à fait d’accord. Mais cela fait déjà un certain temps que des économistes, et non des moindres, se sont engagés dans cette voie. Une tendance à renforcer indiscutablement.