Archives de Tag: préférences sociales

Changement climatique et préférences sociales

« De plus, les générations présentes ne supporteront qu’une toute petite partie des dommages climatiques qu’elles généreront à travers leurs émissions, l’essentiel étant porté par les générations futures. Et, comme on le voit dans les dossiers des retraites, de la dette publique ou de l’emploi des jeunes par exemple, la génération au pouvoir aujourd’hui se moque bien du devenir de celles qui les suivront !  L’attentisme des gouvernements nationaux n’est donc que le reflet du manque d’altruisme de leurs électeurs. »

 Il s’agit d’un extrait de l’interview de Christian Gollier (économiste à la TSE) dans Atlantico, au sujet du réchauffement climatique. Dans le paragraphe cité, Gollier émet donc l’idée que la non-action des gouvernements est le reflet des préférences égoïstes des électeurs, et plus particulièrement d’une absence d’altruisme intergénérationnel. Est-ce nécessairement le cas ? Lire la suite

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Choix social et justification des préférences

Excellent billet de Raphäelle Chappe sur le site de l’Institute for New Economic Thinking sur la théorie du choix social. L’auteur discute de manière critique le cadre d’analyse à partir duquel Arrow a développé son théorème d’impossibilité. Une idée forte du billet est que la théorie du choix social repose sur une approche « computationnelle » ou algorithmique où les préférences sociales sont réduites au statut de produit d’une procédure d’agrégation mécanique des préférences individuelles. Cette idée est particulièrement intéressante si on la met en perspective avec la question du statut analytique des préférences dans la théorie du choix (rationnel et social) et de la manière dont celles-ci peuvent-être justifiées. Lire la suite

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Marché et morale

Les économistes Armin Falk et Nora Szech publient ce mois-ci dans la revue Science un article intitulé « Morals and Markets » qui suggère que les relations marchandes tendent à réduire l’importance que les agents accordent aux valeurs morales. Voici l’abstract :

The possibility that market interaction may erode moral values is a long-standing, but controversial, hypothesis in the social sciences, ethics, and philosophy. To date, empirical evidence on decay of moral values through market interaction has been scarce. We present controlled experimental evidence on how market interaction changes how human subjects value harm and damage done to third parties. In the experiment, subjects decide between either saving the life of a mouse or receiving money. We compare individual decisions to those made in a bilateral and a multilateral market. In both markets, the willingness to kill the mouse is substantially higher than in individual decisions. Furthermore, in the multilateral market, prices for life deteriorate tremendously. In contrast, for morally neutral consumption choices, differences between institutions are small.

Comme ce résumé l’indique, le résultat des auteurs provient d’une étude expérimentale. Je n’ai pas accès à l’article, mais en lisant ce compte-rendu, j’ai quelques doutes sur l’interprétation appropriée de cette étude :

« To study immoral outcomes, we studied whether people are willing to harm a third party in exchange to receiving money. Harming others in an intentional and unjustified way is typically considered unethical, » says Prof. Falk. The animals involved in the study were so-called « surplus mice », raised in laboratories outside Germany. These mice are no longer needed for research purposes. Without the experiment, they would have all been killed. As a consequence of the study many hundreds of young mice that would otherwise all have died were saved. If a subject decided to save a mouse, the experimenters bought the animal. The saved mice are perfectly healthy and live under best possible lab conditions and medical care.

A subgroup of subjects decided between life and money in a non-market decision context (individual condition). This condition allows for eliciting moral standards held by individuals. The condition was compared to two market conditions in which either only one buyer and one seller (bilateral market) or a larger number of buyers and sellers (multilateral market) could trade with each other. If a market offer was accepted a trade was completed, resulting in the death of a mouse. Compared to the individual condition, a significantly higher number of subjects were willing to accept the killing of a mouse in both market conditions. This is the main result of the study. Thus markets result in an erosion of moral values. « In markets, people face several mechanisms that may lower their feelings of guilt and responsibility, » explains Nora Szech. In market situations, people focus on competition and profits rather than on moral concerns. Guilt can be shared with other traders. In addition, people see that others violate moral norms as well.

Dans un contexte marchand où des biens s’échangent entre des acheteurs et des vendeurs, les agents accorderaient moins d’importance à la vie des souris, laquelle est supposée refléter le poids des valeurs morales. Les détails manquent pour ce faire une idée précise des différences entre les contextes marchand et non-marchand de la prise de décision, mais à brûle-pourpoint, je dirais que ce résultat n’a rien de surprenant. Si l’on considère que dans le contexte marchand l’espace de choix est plus grand et/ou les prix sont plus faibles, on peut prévoir que les agents vont accorder moins d’importance aux valeurs morales. La relation entre la satisfaction des désirs individuels et la prise en compte des valeurs morales relève d’un arbitrage tout ce qu’il y a de plus classique. Si le prix de la satisfaction des désirs individuels décroît relativement à celui de la prise en compte des valeurs morales, alors il n’y a rien de surprenant à ce que ces dernières soient moins suivies.

Ce que cette étude semble montrer (encore une fois, je ne l’ai pas lu), c’est uniquement la présence d’un tel mécanisme d’arbitrage, pour des préférences qui restent inchangées. Mais elle ne montre pas en revanche que les institutions marchandes modifient les préférences des agents dans le sens d’un affaiblissement des préférences morales ou sociales. Sur ce point, j’avais discuté ici un papier de Samuel Bowles qui semblait suggérer précisément l’inverse.

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Survenance et agrégation (des préférences, des jugements)

En philosophie de l’esprit, le principe de survenance indique qu’un évènement (ou un ensemble de propriétés) mental M (un désir, une intention, une douleur) est entièrement déterminé par un évènement (ou un ensemble de propriétés) physique P localisé dans le cerveau. Formellement, le principe peut s’exprimer de la manière suivante : un ensemble A survient d’un ensemble B si toute différence entre deux ensembles A et A’ provient nécessairement d’une différence entre B et B’. Le principe de survenance est un des principaux arguments en faveur du physicalisme réductionniste en philosophie de l’esprit, et il est souvent étendue à d’autres domaines pour défendre une forme ou une autre d’individualisme ou de « naturalisme ». J’ai déjà essayé de montrer à de nombreuses reprises ici que même si l’on accepte le principe de survenance dans les sciences sociales, celui-ci ne constitue pas un argument en faveur du réductionnisme pour autant.

Dans un récent billet, Daniel Little revient sur le principe de survenance appliqué au domaine social et souligne les difficultés auxquelles il conduit, en particulier si on l’associe à d’autres concepts tels que celui de dépendance au sentier. Si je le comprend bien, l’argument de Little est épistémologique, dans le sens où la meilleur explication de l’existence de l’état macro-social X n’est pas forcément l’ensemble Y d’actions individuelles à partir duquel X survient, mais la dépendance de X à un ensemble d’actions passées Y = [Yt-1, Yt-2, …] généré par un ou plusieurs mécanismes sociaux. Sans reprendre l’argument de Little, je voudrais développer une idée similaire en partant des problématiques liées à l’agrégation des préférences et des jugements bien connues des économistes. En fait, je vais suggérer trois manières par lesquelles les mécanismes d’agrégation affaiblissent le principe de survenance, sans pour autant le réfuter en tant que tel (ce qui semble impossible). Le cadre général de réflexion est le suivant : prenez un profil de préférences ou de jugements individuels [B1, B2, …, Bn] dans un groupe G composé de n agents et notez B le profil de jugements collectifs ou de préférences collectives (dans ce dernier cas, B est un ordre de préférences). On définit une fonction d’agrégation f tel que B = f ([Bi]iεG). Les profils de jugements/préférences individuels et collectifs ainsi que la fonction f doivent satisfaire un certain nombre de propriétés que j’ignore pour l’instant. La fonction f formalise un mécanisme d’agrégation par lequel un ensemble de profils individuels est transformé en profil collectif. Lire la suite

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Le coût social de l’émulation socioéconomique

L’économiste Robert Frank défend depuis de nombreuses années un principe de taxation de la consommation ostentatoire découlant de l’émulation socioéconomique (voir notamment son ouvrage The Darwin Economy). L’argument de Frank est qu’une partie de notre consommation n’est pas le produit de notre désir d’acquérir des biens ou des services intrinsèquement utiles, mais qu’elle s’explique par son insertion dans une forme de compétition sociale où il ne s’agit pas seulement de consommer des produits satisfaisant (ou optimaux) dans l’absolu, mais aussi étant donné ce que consomment les autres membres de la société. Cette émulation socioéconomique peut être causée soit par certaines préférences « sociales » (l’envie, l’ostentation) mais aussi par des facteurs tels que des problèmes informationnels (la consommation de certains produits signalant alors des propriétés spécifiques). L’économiste Matthew Kahn fait quelques remarques intéressantes sur les arguments de Frank dans deux billets. Il souligne en particulier que tout le raisonnement de Frank fait abstraction de l’offre en posant comme hypothèse que celle-ci est homogène et que les consommateurs évaluent la qualité des biens selon une unique dimension (ou, dans le cas du marché du travail, que les firmes évaluent la qualité des travailleurs selon une seule dimension). J’apporte plus bas quelques compléments et précisions. Lire la suite

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