Dans un récent billet, je suis revenu sur le principe de transitivité et sur son statut axiologique dans le domaine de l’éthique. Il y a eu plusieurs commentaires intéressants et comme je pense que l’argument du billet était un peu confus, j’aimerais revenir dessus et le compléter, ce qui pourrait permettre de répondre (en partie) aux commentaires. Lire la suite
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Transitivité, rationalité et éthique
Chers lecteurs, en ce chaud mois de juillet, je voudrais vous soumettre ma réflexion sur le problème philosophico-logique suivant :
Peut-on de manière cohérente considérer comme vraies les deux propositions suivantes
a) Le fait que les préférences (révélées par les choix) des individus ne soient pas transitives ne justifie pas des interventions (paternalisme) visant à corriger le comportement de ces individus.
b) Toute théorie éthique téléologique (i.e. conséquentialiste), pour comparer deux états, doit utiliser une relation C satisfaisant le principe de transitivité.
De prime abord, les propositions (a) et (b) semblent contradictoires car la même propriété de transitivité est dans un cas imposée comme une contrainte à une doctrine éthique conséquentialiste, alors dans l’autre on lui refuse le pouvoir de fonder une doctrine paternaliste et donc également conséquentialiste. J’apporte ci-dessous quelques éléments de réflexion afin de suggérer que ces deux propositions ne sont pas contradictoires. Lire la suite
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Pourquoi l’économie comportementale ne conduit pas logiquement au paternalisme
La montée en puissance d’une nouvelle forme de paternalisme, parfois appelé « paternalisme libéral », est l’une des conséquences du développement de l’économie comportementale. A l’image de Gille Saint-Paul, pourtant un farouche opposant à toute forme de politique paternaliste, beaucoup d’économistes considèrent que les résultats de l’économie comportementale, combinés à « l’utilitarisme » constitutif de la science économique standard, conduisent logiquement à la préconisation de mesures paternalistes afin de maximiser l’utilité sociale. Dans ce billet, je vais néanmoins essayer de montrer que l’utilitarisme de la science économique, même associé aux résultats de l’économie comportementale, ne conduit pas nécessairement au paternalisme. Lire la suite
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Ethique et Pareto-optimalité
Très bon billet de Chris Dillow qui, en repartant des travaux de Shapley et Roth sur les mécanismes d’allocation sans système de prix, s’interrogent sur la pertinence du critère de Pareto pour évaluer la désirabilité d’une société ou d’un mécanisme. La conclusion de Dillow est assez connue : le critère de Pareto ne dit finalement pas grand chose, et n’a surtout en tant que tel aucune valeur normative. D’autres facteurs expliquent que l’on préfère tel mécanisme à tel autre.
On peut présenter les choses ainsi : imaginez deux individus en situation de marchandage autour d’un actif de valeur V qu’ils doivent se partager. Les deux individus doivent s’accorder sur une allocation A = [M1 ; M2] faisable (i.e. M1 + M2 ≤ V), n’obtenant rien dans le cas contraire. On peut imaginer plusieurs mécanismes d’allocation permettant d’atteindre une situation Pareto-optimale, c’est à dire une situation où l’intégralité de l’actif est partagée. On peut tout d’abord imaginer une procédure dictatoriale : un troisième agent, dont on peut supposé qu’il est incité à trouver une allocation efficiente, décide alors d’une allocation A* qui est Pareto-optimale mais avec une répartition dépendant de critères arbitraires choisis par le dictateur. Une deuxième possibilité serait un mécanisme « quasi-dictatorial » : la « Nature » (le hasard) octroie à l’un des individus le droit de choisir l’allocation qui lui convient. L’individu choisira probablement une allocation A** Pareto-optimale, mais probablement très inégalitaire (mais pas forcément complètement, si l’on en croit les résultats expérimentaux). Une dernière possibilité serait de laisser la possibilité aux agents de négocier selon un mécanisme où chaque individu fait une offre à tour de rôle, la procédure s’arrêtant lorsque l’une des parties accepte l’offre de l’autre. Selon la solution de Nash, et d’après un théorème de Rubinstein, si les agents actualisent leurs gains futurs au même taux (et si leurs gains en cas de désaccord sont les mêmes), alors l’allocation finale doit être A*** = [V/2 ; V/2].
Supposons maintenant que nos deux agents doivent s’accorder sur le mécanisme à utiliser pour allouer l’actif V. Cela revient à dire qu’ils doivent négocier sur le mécanisme d’allocation. A priori, les trois mécanismes sont équivalents en termes de Pareto-optimalité. Admettons que nos agents sont placés sous voile d’ignorance, c’est à dire qu’ils ne connaissent pas leur identité dans le cadre de la futur négociation. Cela veut par exemple dire qu’ils n’ont aucune information sur leurs futures caractéristiques qui pourraient éventuellement influencer le choix du dictateur si le mécanisme dictatorial était choisi. Ils ne savent pas s’ils possèderons des préférences sociales, ni quel sera le taux auquel ils actualisent les gains futurs. En conclusion, cela veut dire que, dans le cadre du voile d’ignorance, les individus ne peuvent pas discriminer les mécanismes par leur efficience (tous tendent vers la Pareto-optimalité) ni sur leurs gains espérés. Intuitivement cependant, il semble très probable que placé dans une telle situation, n’importe qui aurait tendance à choisir le troisième mécanisme en raison de certaines de ses caractéristiques saillantes : il est symétrique (si les individus ont exactement les mêmes caractéristiques, ils gagnent la même chose ), il est impartial (la décision d’allocation ne dépend pas d’un agent s’appuyant sur des critères arbitraires), il repose sur un isomorphisme formel (les individus ont les mêmes « droits » dans la procédure).
Il me semble que ce sont également les caractéristiques idéales d’une relation marchande. Néanmoins, dès lors que l’on dévie de ces caractéristiques idéales, il est possible que des individus placés sous un voile d’ignorance avec quelques informations complémentaires préfèrent les deux autres mécanismes : par exemple, s’il est connu que les gains en cas de désaccord ne sont pas les mêmes, si on sait que les joueurs n’actualiseront pas de la même manière les gains futurs, si l’on sait que le dictateur sera systématiquement biaisé en faveur de certaines caractéristiques par ailleurs jugées « justes » (ex : systématiquement trancher en faveur d’un individu physiquement handicapé), etc. Pour conclure, le critère de Pareto n’est pas très utile en matière d’éthique. Ce qui fait probablement l’attrait des solutions marchandes, c’est qu’elle repose sur une égalité formelle. Mais cette dernière n’est plus décisive si trop d’asymétries entre les individus sont révélées.
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