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Est-il rationnel d’être cohérent ?

Dans un article qui date de 1985, « Why be Consistent » (Economica), Robert Sugden s’intéresse à la question de savoir si un comportement rationnel est forcément cohérent au sens où l’entend la théorie économique. La cohérence peut évidemment renvoyer à l’axiome de transitivité des choix et des préférences dont j’ai parlé ici plusieurs fois, mais aussi à des conditions plus faibles s’appliquant aux préférences et/ou aux patterns de choix. Une des conditions les plus souvent citées dans la littérature est la condition de Chernoff qui pose une contrainte sur les choix des agents lorsque l’espace des alternatives faisables se restreint. Formellement,

pour toute alternative x et pour tout ensemble d’alternatives faisables S1, S2 avec x ε S1 et S1 (sous-ensemble strict de) S2, la proposition suivante doit être vérifiée : si x ε C(S2), alors x ε C(S1).

En français, la condition de Chernoff impose que si un individu opte pour l’alternative x lorsqu’un ensemble d’alternatives S2 est disponible, alors il doit également opter pour x si l’ensemble d’alternatives à sa disposition est un strict sous-ensemble de S2. Cette condition semble raisonnable en apparence et Amartya Sen par exemple la considère comme une contrainte basique pour tout choix rationnel dans son classique Collective Choice and Social Welfare. Dans son article, Sugden prend cependant pour base de la discussion une condition encore plus faible qu’il nomme « condition de cohérence minimale » :

Si x = C(x, y), alors pour tous les ensembles possibles S = (x, y, …), y ≠ C(S).

En mots, si x est choisi lorsque y est disponible, alors y ne doit jamais être choisi lorsque x est disponible. Sugden s’emploie à montrer que cette condition pourtant très faible rentre en contradiction avec une conception intuitive et raisonnable de la rationalité, aussi bien au niveau du choix individuel qu’au niveau du choix social. Dans ce billet, je vais uniquement m’intéresser à l’argument de Sugden pour ce qui concerne les choix individuels. Sa discussion concernant le choix social est cependant très intéressante et mériterait également un billet.  Lire la suite

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Rationalité et « group agency »

Pour ce billet de rentrée, je vais revenir assez brièvement sur un ouvrage très intéressant et très important que j’ai lu il y a quelques mois, Group agency : The possiblity, design, and status of corporate agents de l’économiste Christian List et du philosophe Philip Pettit. Je ne ferai pas de résumé détaillé du bouquin (ceux qui veulent en savoir plus peuvent aller voir sur les sites perso des deux auteurs, ou bien regarder la petite bibliographie que j’ai mis dans le syllabus de mon cours de systémique à la séance n° 5) mais je rappellerai quand même le propos général de List et Pettit (LP). Il s’agit pour les auteurs de s’interroger sur les conditions à partir desquelles un groupe, composé d’agents individuels répondant à certains critères minimaux de rationalité, va être en mesure d’émettre des jugements répondant également à ces mêmes critères de rationalité. Chaque agent émet des jugements individuels sur un certain nombre de propositions, ces jugements sont agrégés à partir d’un mécanisme particulier, et on obtient ainsi un ensemble de jugements collectifs. LP sont à la base d’une littérature, connexe à celles sur l’agrégation des préférences (paradoxe de Condorcet, théorème d’impossibilité d’Arrow), qui montre que l’agrégation de jugements n’est pas quelque chose de trivial, dans le sens où il apparait que bien souvent, des individus rationnels vont produire des jugements collectifs incohérents. Le « dilemme discursif », qui sert de cas générique aux auteurs pour développer leur réflexion, suffira à illustrer le problème. Lire la suite

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