C.H.
Roger Backhouse, auteur important dans le champ de la philosophie économique, et Bradley Bateman posent une question fondamentale dans cet article paru dans le New York Times : ne manque-t-on pas cruellement d’économistes capables d’avoir une pensée globale sur le fonctionnement de nos économies, de proposer une « Big Picture » de nos économies de marché et capitalistes ? Des penseurs qui, à la manière de Marx, Keynes, Hayek ou Friedman, pourraient développer une vision cohérente des économies contemporaines.
Backhouse et Bateman notent de manière très juste que l’évolution de la discipline n’est pas favorable à la survie de ce genre de penseurs. Ironiquement, c’est Keynes lui-même qui est le premier à l’avoir bien compris en expliquant qu’un économiste devait être comme un « dentiste » : avoir l’ambition mesuré de ne traiter qu’un problème bien identifié et bien circonscrit, mais dont la résolution peut être potentiellement très bénéfique. L’économie, comme toutes les sciences « dures », mais aussi comme de plus en plus d’autres sciences sociales, est aujourd’hui une discipline extrêmement spécialisée. Cela s’explique évidemment par le fait que le stock de connaissances ne cessent de s’accroître, et ceci de manière exponentielle. Les compétences techniques et les connaissances factuelles qui sont requises pour apporter une contribution significative dans un des sous-domaines de la science économique sont telles que, hormis pour une poignée d’individus extrêmement brillants, il est bien difficile de sortir de son champ d’expertise étroit. Ajoutez à cela les incitations et contraintes instaurées par le fonctionnement de la science moderne qui poussent à une recherche de la « productivité », et on comprend alors aisément pourquoi tous les économistes sont devenus des dentistes.
A chacun de se faire son opinion sur cette évolution, si elle est souhaitable ou dommageable. On peut faire remarquer, à juste titre, que d’une certaine manière elle échappe largement à notre contrôle et qu’elle s’inscrit logiquement dans le cadre d’une dynamique de « progrès » scientifique. Mais on peut aussi souligner certains de ses désagréments. Dans son monumental Histoire de l’analyse économique, Joseph Schumpeter (un de ces spécimens à avoir développé une vision globale du capitalisme) a insisté sur l’importance de ce qu’il appelle la vision dans notre manière d’aborder les problèmes socioéconomiques (citation en anglais, n’ayant pas la version française sous la main) :
Obviously, in order to be able to posit to ourselves any problems at all, we should first have to visualise a distinct set of coherent phenomena as a worthwhile object of our analytic efforts. In other words, analytic effort is of necessity preceded by a preanalytic cognitive act that supplies the raw material for the cognitive effort [and this] will be called Vision
Dans le cadre de la démarche analytique et cartésienne qui consiste à séparer les éléments d’un ensemble plus global pour les étudier séparément, nous avons besoins de passer par une phase de cognition pré-analytique où nous développons une vision de l’ensemble global qui va nous guider. Les problèmes socioéconomiques que les économistes étudient ne sont pas des faits objectifs. Les problèmes sont construits par la manière dont nous les caractérisons, les divisons les uns par rapport aux autres et par la manière dont nous les relions. Cet acte cognitif pré-analytique a également été très bien pensé par Max Weber et son concept de « rapport aux valeurs ». Le rapport aux valeurs est l’ensemble des éléments normatifs (la plupart du temps produit par le contexte culturel) qui nous conduit à considérer tel problème comme important ou significatif et tel autre autre problème comme secondaire. C’est aussi lui qui nous conduit à caractériser les problèmes de la manière dont nous le faisons. Le point de tout ça n’est pas que la méthode analytique est problématique en soi, mais qu’elle le devient à partir du moment où la caractérisation des phénomènes à étudier ne se fait plus sur la base d’une vision de l’ensemble global dans lequel ces phénomènes s’inscrivent.
Les économistes ont-ils perdu cette vision ? Probablement pas tous, mais il est évident que le rejet pour les travaux cherchant à développer une approche d’ensemble sur le capitalisme (par exemple) ne facilite pas l’entretien d’une telle vision. Il est peut être trop facile de prendre certains exemples extrêmes montrant comment la profession valorise plus des travaux s’intéressant aux stratégies optimales d’abaissement des lunettes de WC que des travaux portant sur les variétés du capitalisme (lesquels seront typiquement publiés ailleurs qu’en économie), mais il y a là certainement quelque chose qui a du sens. Au-delà ce ces contrastes caricaturaux, le plus inquiétant est qu’aujourd’hui un économiste du travail (par exemple) peut produire de la recherche de qualité (ou considérée comme telle) sans avoir la moindre connaissance (autres que les éléments théoriques communs) concernant le fonctionnement des systèmes financiers ou des systèmes de santé. Ces problèmes sont différents me direz-vous. Ce à quoi je vous répondrai que tout dépend de la vision que vous adoptez.
Cette question m’intéresse d’autant plus que cela fait 4 ans maintenant que je donne un cours sur les variétés de capitalisme à des non-économistes de niveau master. Ce que j’en tire, c’est que ce type de cours répond totalement aux attentes d’un public de non-spécialistes qui eux-même veulent se doter d’une vision, même approximative, de la manière dont fonctionne nos économies. Du coup, je me demande si ce n’est pas comme ça qu’il faudrait interpréter la récente affaire du « walk-out » qui a concerné le célèbre cours d’économie de Greg Mankiw à Harvard. Il y a clairement une motivation idéologique derrière l’action de ces étudiants (dont la lettre est d’une pauvreté argumentaire affligeante, surtout si l’on considère qu’il s’agit d’étudiants de Harvard !) mais il y aussi là le signe d’un décalage entre une demande provenant en partie d’étudiants non-économistes et une offre (le cours de Mankiw) qui s’inscrit dans la plus stricte orthodoxie de la profession (ce qui n’est pas une critique). Il est bien entendu que les aspirants économistes doivent se soumettre à l’austérité des cours d’économie standard (qui d’ailleurs ne sont pas forcément austères). Pour les autres, c’est moins évident et ce n’est en tout cas pas ce qu’ils attendent. Mais peut être qu’un changement de perspective chez les économistes professionnels eux-mêmes est-il nécessaire. Initialement, les économistes étaient des philosophes. Aujourd’hui, la plupart d’entre eux sont devenus de purs et brillants techniciens. On est peut être maintenant en mesure de trouver un juste équilibre, histoire de faire des économistes de véritables penseurs de notre société.
Quelle bande de tocards ces étudiants : « There is no justification for presenting Adam Smith’s economic theories as more fundamental or basic than, for example, Keynesian theory » : à part le fait qu’elles ont 150 ans d’avance ?..
A part ça, en réalité, ils ne reprochent pas au cours de Mankiw d’être biaisé, mais de ne pas l’être dans leur sens à eux. Bande de merdeux, je te foutrais tout ça « défaillant » et en conseil de discipline, moi ! Y a des coups de pied au cul qui se perdent 😉
(A part ça, j’ai déclenché mon chrono pour voir combien de temps Elvin va mettre pour venir radoter « Quoi l’économie une science ? Gnagna les autrichiens blabla moi dans mon papier de 1932 je montre bien que glmbglmb tfasson c’est la faute de l’Etat ».
Encore une remarque de détail, car, sur le fond, je suis assez convaincu par ta position et que je n’ai aucun doute sur ta manière de comprendre l’article en question.
« Il est peut être trop facile de prendre certains exemples extrêmes montrant comment la profession valorise plus des travaux s’intéressant aux stratégies optimales d’abaissement des lunettes de WC que des travaux portant sur les variétés du capitalisme ».
Peut-être que l’on me jugera nettement trop optimiste, mais il me semble évident que cet article si souvent évoqué avec l’objectif de discréditer l’approche standard (qui est alors pris comme un exemple de l’absurdité totale à laquelle l’économie « standard » serait aujourd’hui arrivée) doit être compris de façon strictement opposée.
Cet article est justement une dénonciation du fait qu’appliquer aveuglément une méthodologie réputée scientifique à tout sujet ne suffit pas à rendre une démarche véritablement scientifique. La conclusion de l’article affirme d’ailleurs (de mémoire) que la même démarche que celle appliquée au positionnement de la lunette des toilettes peut servir à déterminer le positionnement optimal de la souris d’un ordinateur utilisé par plusieurs personnes. Si l’on pouvait (mais est-ce possible ?) lire le papier sans acquérir la certitude qu’il s’agit d’une plaisanterie, cette touche à la fin de l’envoi obligerait à admettre qu’il s’agit bien d’ironie et d’un procédé d’hyperbole ayant justement pour but de rappeler (avec humour) aux économistes de ne pas user de leur outils de façon aveugle.
On pourra alors admettre que si ce rappel a semblé devoir être fait, c’est que les auteurs (et les rapporteurs qui ont accepté le papier dans une revue de niveau mondial) avaient eu l’occasion de constater des excès de technicité utilisée aveuglément. Mais, il faudra alors reconnaître aussi que la dénonciation et la réduction à l’absurde est venue du courant « standard » que l’on accuse souvent d’un tel aveuglement. Certes, il arrive parfois que l’on voit la paille dans l’œil du voisin… mais à tout le moins cet article ne peut pas être utilisé comme la preuve que l’économie « standard » a perdu tout bon sens.
Si je comprend bien pourquoi les jeunes chercheurs ne sont pas incités à produire des « visions », il me semble cependant qu’il existe quand même des incitations allant dans ce sens. Si on prend le cas des chercheurs réputés (nobel ou nobelisable pour faire vite), ils ont souvent plus grand chose à gagner en terme de notoriété au sein de leur spécialité. Si certains profitent de leur notoriété dans le champ économique pour devenir des intellectuels (phénomène de conversion de capitaux scientifiques en capitaux symboliques dans le champ politique, pour parler comme Bourdieu), il reste pour les autres encore des gains de notoriété possible à l’intérieur du champ. Et seule la production d’une « vision » nouvelle, qui pourrait ainsi devenir un nouveau paradigme attaché à leur nom propre, peut amener à ce gain. Du coup, plutôt que de s’intéresser aux économistes en général, il faudrait regarder pourquoi ceux qui sont dominants dans leur spécialité ne cherchent pas à devenir dominant sur l’ensemble de la discipline.
@VilCoyote
Vous pouvez arrêter le chronomètre.
« Economics does not allow of any breaking up into special branches. It invariably deals with the interconnectedness of all the phenomena of action. The catallactic problems cannot become visible if one deals with each branch of production separately. It is impossible to study labor and wages without studying implicitly commodity prices, interest rates, profit and loss, money and credit, and all the other major problems. The real problems of the determination of wage rates cannot even be touched in a course on labor. There are no such things as « economics of labor » or « economics of agriculture. » There is only one coherent body of economics. »
Devinez de qui c’est …
C’est tellement prévisible que c’est même plus drôle.
Ça n’essaie pas , non plus.
C’est bien ce qui m’afflige.
Remarquez qu’au départ, je n’avais pas l’intention de commenter l’article de Cyril. Mais quand on me provoque, je n’arrive pas à résister.
Bonne question, en effet. Et bien présentée.
Ton cours sur les variétés, c’est dans quelle filière ? J’ai une partie de programme là dessus en DSCG.
Je commente ton billet ici : http://econoclaste.org.free.fr/dotclear/index.php/?2011/11/06/1858-de-la-pensee-globale-limitee-a-la-pensee-locale-limitee
C’est en master « Comptabilité contrôle audit », lequel donne une équivalence partielle au DSCG, donc a priori c’est le même programme.
Moi je le trouve marant Elvin =)
Pis j’avoue qu’en cours (L2 ainsi que prépa ENS cachan) on nous apprend rien sur l’ecole autrichienne. Alors peut etre qu’ils ont dis que des betises, mais moi j’aimerai bien savoir quelque truc sur eux…
http://www.amazon.fr/L%C3%A9cole-autrichienne-d%C3%A9conomie-autre-h%C3%A9t%C3%A9rodoxie/dp/2757401637/ref=sr_1_2?s=books&ie=UTF8&qid=1320620653&sr=1-2
Et merci de me trouver « marant ». Ca me change…
Tu as Google, Wikipédia, ta BU et tes profs. elvin est un troll paresseux, car de mon point de vue à part des généralités idéologiques l’école autrichienne n’apporte rien que la théorie mainstream ne peut formaliser ; c’est cependant moins coûteux de se construire une supposée expertise dans un champ extrêmement secondaire qui n’a d’intérêt qu’en histoire de la pensée économique plutôt que faire l’effort d’ouvrir un manuel mainstream et de dériver des lagrangiens (ce qui n’a rien de compliqué, soit dit en passant), à charge ensuite de venir pourrir tous les blogs « influents » de la blogosphère économique francophone pour répandre la bonne parole. Btw, passéun certain seuil plus grand monde ne le lis, d’où la remarque (que j’ai trouvé très drôle) de VilCoyote.
Avant de porter des jugements un peu hâtifs, donnez-vous la peine de jeter un coup d’œil sur le livre que je recommande à Demandred, qui est fait par un prof d’éco tout à fait respectable et pas par « un troll paresseux ». Tout en notant que ce livre ne traite pas des questions épistémologiques et méthodologiques, qui sont ce qui sépare le plus les « autrichiens » des « orthodoxes », notamment sur la question de la formalisation.
« Proposons-lui un livre qui passe sous silence l’essentiel », oui, vous êtes donc bien un troll. C’est d’ailleurs précisément pour cette raison qu’un professeur qualifié ou Wikipédia seront plus impartiaux que des idéologues dans votre genre. Ce commentaire termine ma participation à ce « débat » avec vous.
@OlivierSC
Je réponds à ce niveau-là de la discussion parce que c’est à ce niveau que votre réponse me pose (notablement !) problème.
Je ne me sens pas du tout autrichien et mon seul échange avec Elvin a été (pour le moins) tendu. Toutefois, votre présentation de l’école autrichienne me semble au mieux sans nuance.
« l’école autrichienne n’apporte rien que la théorie mainstream ne peut formaliser ». Pour prendre un exemple tout simple, l’approche mainstream échoue totalement à penser la liberté (sans doute parce que la modéliser confine au non-sens). De ce point de vue, toutes les approches apparentées aux ensembles d’opportunités pour penser la liberté manquent tellement leur cible qu’on peut parfois se demander si leurs auteurs savent précisément le sens que la tradition philosophique donne à ce concept. Même si l’on refuse d’accorder à l’école autrichienne une supériorité à ce niveau, peut-être n’est-il pas si inutile que cela qu’elle représente une position autre. Et le cas de la liberté n’est qu’un exemple parmi de nombreux autres.
« un champ extrêmement secondaire qui n’a d’intérêt qu’en histoire de la pensée économique ». Je me demande si l’on doit comprendre de cette phrase que l’histoire de la pensée n’a que peu d’intérêt selon vous. Si c’est le cas cette position me semble très inquiétante. A ne pas comprendre comment les concepts qu’on utilise se sont formés et sont le fruit d’un processus de mise en œuvre historiquement déterminé, on se condamne à n’en comprendre qu’un aspect, voire à ne pas les comprendre du tout.
« un manuel mainstream et de dériver des lagrangiens ». Peut-être que le début de votre commentaire me fait sur-réagir, mais je me demande si vous ne confondez pas carrément l’outil et la théorie de l’économie standard. On peut comprendre assez finement les concepts développés par la majorité des économistes aujourd’hui sans forcément se plonger dans des pages de lagrangiens soi-même (même si cela n’est certes pas insurmontable en soi).
Enfin, le Clersé est un centre de recherche reconnu et qui n’est pas (mais alors pas du tout) réputé pour sa position autrichienne partisane. Du coup, il est à mon avis tout à fait intéressant de voir, si l’on ne connait rien sur l’école autrichienne, ce qu’un spécialiste de ce labo a en dire.
Par ailleurs, vous me semblez adopter un positivisme épistémologiquement très très discutable. Le fait qu’un courant de la science économique domine aujourd’hui le champs académique ne signifie pas l’inanité ou même la faiblesse intrinsèque des propositions alternatives. Il y a un lien fort (et étudié par des économistes standard) entre science économique et idéologie (on peut se référer aux travaux d’Alain Leroux, par exemple). Et, quand bien même on admettrait que cette domination est la marque d’une véritable supériorité, le pluralisme serait encore utile au courant dominant car il l’obligerait (a minima) à se confronter à des alternatives. Pour une démarche scientifique, l’absence de confrontation équivaut à l’asphyxie.
Vu le ton que vous adoptez, je précise par avance, comme vous le faites de votre côté vis-à-vis d’un autre interlocuteur, que « ce commentaire termine ma participation à ce « débat » avec vous ».
Aussi cordialement qu’il m’est possible.
Silvertongue
@ Silvertongue : la différence entre votre commentaire et celui d’elvin est que lui sévit sur les blogs économiques depuis des années, et sa rhétorique « seuls les autrichiens avaient tout compris » devient profondément emmerdante passé l’amusement initial (sans parler de sa vision archaïque de l’enseignement et ses réponses pré-digérées qui font de lui un troll). Je suis quelqu’un de particulièrement ouvert au débat, mais uniquement lorsque celui-ci est argumenté et surtout utile. Débattre avec lui, malgré tout le respect que je lui dois, ne m’apparaît pas comme tel, et c’est précisément pour cette raison que j’ai coupé aussi abruptement ma participation à ce débat.
Pour le reste, je crois que vous vous méprenez sur de bien nombreux points concernant mon intervention, et je vais m’empresser d’apporter les corrections nécessaires.
– Formalisation de la liberté : de quoi parlez-vous ? J’ai bien relu votre commentaire et je ne saisis pas ce dont vous parlez. Enfin si, je pense que je saisis, mais si j’ai bien compris il ne s’agit plus là d’économie mais plutôt de philosophie — et c’est ce qui explique que les économistes se foutent un peu d’avoir un outil qui ne formalise pas très bien la liberté. Quand je disais « l’école autrichienne n’apporte rien que la théorie mainstream ne peut formaliser » j’entends d’un point de vue de « pure » théorie économique. Ici nous n’y sommes pas.
– « l’histoire de la pensée n’a que peu d’intérêt selon vous » : sûrement pas. Je disais juste que d’après moi la théorie autrichienne est plus une curiosité historique qu’une hétérodoxie ayant été « volée » par les méchants néoclassiques de la place prédominante qu’elle aurait dû (d’après certains) avoir
– « On peut comprendre assez finement les concepts développés par la majorité des économistes aujourd’hui sans forcément se plonger dans des pages de lagrangiens soi-même » : bien évidemment, et encore heureux. Mon propos était de dire qu’il est plus facile de se construire une expertise sur un champ secondaire plutôt que dans le champ dominant, quelque soit la manière dont on construit cette expertise (par les mathématiques ou par l’intuition, même si je suis persuadé qu’une vraie compréhension des théories n’est pas possible sans passer par les modèles).
– « le pluralisme serait encore utile au courant dominant car il l’obligerait (a minima) à se confronter à des alternatives. » : trouvez-vous que le courant dominant soit resté statique au cours des dernières décennies ? Je ne trouve pas, avec l’apport du behavorial, du job search en éco du travail, les asymétries d’information, la théorie des jeux et j’en passe. J’ai surtout l’impression que vous faites une lecture un peu trop premier degré de mon propos influencé par l’ancre de ma première réponse à elvin, qui était volontairement caricaturale. Je ne suis manifestement pas la personne fermée et sectaire dont vous semblez être persuadé que je suis et je crois que vous gagneriez à relire mes interventions suivantes avec davantage de profondeur. À moins que vous ne persistiez à ne plus participer à ce débat, ce qui serait bien dommage.
Je voudrais dire à OSC, s’il consent encore à me lire, la même chose que ce qu’il dit lui à Silvertongue : je suis quelqu’un de particulièrement ouvert au débat, de préférence avec des gens qui ont des opinions différentes des miennes, et tout à fait capable d’argumenter. J’ai la faiblesse de croire que nombre de mes interventions sur ce blog en témoignent. Mais c’est vrai que nous n »avons pas la même conception de l’utilité de nos interventions : je crois que ce que je peux faire de plus utile, c’est de remettre en cause les fondements méthodologiques du « mainstream » actuel tel qu’ils sont enseignés (et en effet comme souligné par plusieurs intervenants, pas pratiqués par tous les chercheurs, et c’est fort heureux)
Je constate d’ailleurs qu’il y a parmi les économistes de renom, dont quelques prix Nobel, un certain nombre qui soutiennent ces mêmes idées sans jamais se référer à la tradition autrichienne. J’espère que ce n’est pas par ignorance, mais par une habile prudence, pour ne pas être automatiquement pris pour des charlots. Moi je m’en fous, je n’ai rien à perdre, sinon l’audience d’OSC et d’autres, ce que je regrette. Mais désolé, je ne vais pas changer pour ça.
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Sur mes raisons d’adhérer à la tradition autrichienne, je renvoie, pour ceux qui ne les auraient pas lu ou déjà oubliés, à ces deux articles:
http://gdrean.perso.sfr.fr/articles/histoire.html
http://gdrean.perso.sfr.fr/articles/entreprise.html
@OSC
Je me suis sans doute emporté. Je reviens donc ma façon (un peu idiote) de clore mon dernier post. Peut-être le sujet, à savoir, la vision globale de la discipline économie, est-il propice à certains emportements.
Même si je ne poste que rarement, je lis la blogosphère économique française depuis plusieurs années et je connais donc bien les interventions d’Elvin. Il m’a semblé toutefois que la formule « Troll paresseux » basculait dans l’invective sous couvert de jugement prétendument descriptif et que la suite de votre propos était théoriquement extrêmement dogmatique et, à tout le moins, discutable. Peut-être le contexte y était-il pour quelque chose (le ton que vous avez adopté dans votre échange avec Do ne m’a toutefois pas conduit à le penser), mais je vais me concentrer sur le fond en laissant la forme et le contexte de côté.
Ce qui m’interroge beaucoup dans toutes vos interventions (toutes celles se trouvant pour l’instant sous ce billet de C.H.), c’est que vous me semblez défendre sans aucune réserve tout ce qui relève du mainstream et attaquer, sans plus de réserve, ce qui n’en relève pas. Dans une telle optique, le seul juge de la pertinence d’une critique adressée au mainstream serait la capacité de ce même mainstream à la comprendre et à l’intégrer. Il est évident que la science économique (c’est-à-dire la discipline qui se fait appeler de cette façon) a notablement évolué au cours des dernières décennies. Toutefois, si cela prouve qu’elle est capable d’ajustements, cela ne prouve en rien qu’elle est l’anti-chambre de la vérité révélée. Elle est une position théorique que sa puissance théorique (c’est indiscutable) et les jeux de pouvoirs académiques (ne nous voilons pas la face sur la sociologie du monde scientifique) ont conduit à placer aujourd’hui en position dominante au niveau mondial. Thomas a cité Kuhn, la lecture de son œuvre conseille de rester prudent quand à la supériorité scientifique d’une approche théorique sur ses concurrentes.
Je vous rassure tout de suite : je ne prétends pas avoir de mon côté la compréhension de ce que doit être la science économique. De plus, je me situe, selon moi (car ce genre de classification peut toujours être discuté), du côté de l’économie standard – ce qui ne m’empêche pas de tenter de relever ses manques et de chercher à les comprendre et à les dépasser. C’est selon moi le propre du travail de recherche.
Sans doute votre réaction à la mention de Kuhn sera-t-elle qu’il s’agit là de philosophie et pas d’économie. Je crois que ce serait faire assez gravement fausse route. D’une part, parce qu’aucune science ne peut éviter l’épistémologie (il y va de la réflexivité de la discipline et de la lucidité des chercheurs qui contribuent à son champ), d’autre part parce que la séparation que vous semblez opérer entre philosophie et économie me fait, disons-le tout net, froid dans le dos. Que les deux champs ne se superposent pas, c’est une évidence. La théorie kantienne du beau et du sublime n’intéressera guère l’économiste en tant que chercheur. Mais, de là à dire que la philosophie politique, la philosophie morale et même les questions ontologiques ne concernent pas l’économie, il y a un pas que je ne crois pas pouvoir être franchi – à moins de vouloir justifier l’idée que l’économie est autiste (comme il est arrivé, à tort, selon moi, qu’on le prétende).
Vous voyez sans doute où je veux en venir : je suis un fervent défenseur de la démarche de philosophie économique. Et pour pallier à une éventuelle tentation de rejeter ce type d’approche hors de la science économique, je précise que ce genre de démarche ne peut être selon moi que le fait des chercheurs en économie et qu’il n’est pas du tout opposé par principe à l’économie que l’on qualifie de « standard ». La philosophie économique est un sous-champ disciplinaire tout à fait sérieux, ayant ses grandes revues et ayant droit de cité jusque dans les grandes universités américaines (pour éviter le soupçon de débat franco-français). Je ne connais pas Do et je n’ai pas même échangé avec lui comme je le fais actuellement avec vous, toutefois, je trouve assez savoureux le ton que vous adoptez face à lui alors qu’il s’agit d’un échange entre doctorants et qu’il commence, justement, une thèse d’épistémologie économique (au Phare ?).
La question de la philosophie économique me ramène vers ma thématique de recherche, à savoir celle de la liberté en économie – aspect qui relève de l’économie normative, autrement dit, indiscutablement de la science économique. Parler de la liberté comprise comme d’un ensemble d’opportunités est aujourd’hui la norme dans le champ de l’économie qui s’intéresse à la liberté – pour une référence précise, je peux vous renvoyer à un court survey (http://www.vcharite.univ-mrs.fr/pp/Gravel/surveyPeil2.pdf). Lorsque vous dites qu’ « il ne s’agit plus là d’économie mais plutôt de philosophie — et c’est ce qui explique que les économistes se foutent un peu d’avoir un outil qui ne formalise pas très bien la liberté », vous adoptez une position qui ne me semble pas partagée par une bonne part des meilleurs chercheurs en économie normative. Des gens comme Fleurbaey, Maniquet, Kolm, Gravel ou même Sen ont déployé des efforts pour le moins importants pour intégrer la question de la liberté dans le champ économique. Dans l’introduction du livre « Freedom in Economics, New Perspective in Normative Economics » (soit en 1998), les éditeurs posent comme une évidence que la question de liberté est devenue centrale dans les travaux académiques récents. Le fait que l’économie standard étudie la décision en évacuant la question de la liberté n’est donc sans doute pas un détail philosophique sans importance pour l’économiste.
Si vous voulez un autre exemple de cas dont l’économie standard peine à rendre compte (et sur lequel je suis nettement moins au point), vous pouvez penser à la question des phénomènes émergents (dont traitent certains travaux en cours de C.H., le maître des lieux). C’est que la modélisation de l’agent comme défini uniquement par un pré-ordre de préférences passe complètement à côté de l’intentionnalité.
Pour conclure sur le statut du pluralisme et des hétérodoxies, si l’objectif est de mieux comprendre le monde et les hommes, alors les approches hétérodoxes ont un potentiel de proposition et de transgression des dogmes propres à une position et à une tradition qui les rend potentiellement fécondes (je ne dis pas que parce que c’est hétérodoxe, c’est fécond) et toujours susceptibles de produire une position capable de la première place dans le champ scientifique. Quand je vous soupçonnais de positivisme, je voulais dire que vous semblez prendre l’état du rapport de force entre les courants aujourd’hui comme preuve qu’ils seront toujours dans cette configuration. Même si je ne pense pas que cela arrivera, il reste possible que dans 50 ans les économistes considèrent la position aujourd’hui dominante comme une forme d’égarement théorique et méthodologique et défendent une position héritière de la tradition autrichienne.
Désolé pour la longueur de cette réponse, mais, vous l’aurez compris, il s’agit d’un sujet qui me tient à coeur.
Inutile de dire combien je suis d’accord avec Silvertongue, mais je le dis quand même.
Dans la structure des révolutions scientifiques, Kuhn explique que lorsque la science est devenue « normale », les oeuvres de 1000p de grands auteurs disparaissent au profit d’articles de recherche destinés à une communauté qui a les mêmes préconçus (c’est pas très bien dit mais bon…) et les mêmes prérequis. La science est alors cumulative, il n’y a plus besoins de discuter des refonder la discipline à chaque fois qu’on avance proposition (ce qui justifie la taille des ouvrages!).
Les manuels qu’il faut réécrire de temps en temps prennent alors le relais et donne une approche unifiée de la discipline.
Finalement, le fait qu’on ne trouve plus de Grands livres du genre évoqué dans l’article n’est-il pas un signe que l’économie est une discipline mûre ?
D’ailleurs, trouve-t-on ce genre d’ouvrage en biologie ?
Et puis au passage, les grands auteurs et les grandes visions faut les prendre avec tout les disciples qui vont avec…
Bonjour,
je crois qu’il y a un contresens sur la remarque de Schumpeter. « we should first have to visualise a distinct set of coherent phenomena as a worthwhile object of our analytic efforts » ne signifie pas qu’il faudrait je ne sais quelle méta-vision du Grand Tout pour faire de la bonne économie, mais plutôt qu’avant de sortir les outils de résolution analytique et les tests de stationnarité, il faut une intuition de la direction dans laquelle il est intéressant de chercher.
Un bon exemple est fourni par la fameuse étude de S.Levitt sur la relation entre Roe vs Wade et la criminalité. Le travail technique est bien fait mais n’a pas d’intérêt particulier. La force de l’article est l’idée originelle de rapprocher avortement et criminalité.
Par ailleurs, je me demande bien pourquoi les économistes devraient être des penseurs de notre société. Leur inculture les en empêche radicalement et ce n’est pas leur boulot. C’est d’ailleurs pourquoi se sont développés dans les facs anglo-saxonnes des cours d’économie politique, qui ont renoncé au label « science » pour pouvoir faire entrer les institutions dans leur problématique.
Bien cordialement,
Bonjour,
Sur votre premier point, ce que vous dites n’est pas contradictoire avec mon propos. Pour avoir « une intuition de la direction dans laquelle il est intéressant de chercher » il faut avoir une vue d’ensemble notamment sur les enjeux théoriques et empiriques importants au sein de la discipline, mais même aussi au sein des disciplines connexes. Ce que vous appelez péjorativement « méta-vision du Grand Tout », c’est juste avoir une idée bien informée des questions importantes à poser et des liens éventuels entre ces différentes questions.
Sur votre second point, je ne vois pas pourquoi il faudrait renoncer au label de « science » pour incorporer l’objet institution dans la problématique de la discipline. Quant à « l’inculture » des économistes, c’est précisément le problème.
Il me semble bien que les auteurs de grandes synthèses, que ce soit en économie ou dans d’autres sciences (hein; VilCoyote, vous notez que je dis bien « les autres sciences ») n’ont jamais été motivés par « les incitations et contraintes instaurées par le fonctionnement de la science moderne » ou leur équivalent à leur époque. Bien au contraire, ils étaient auto-motivés et souvent en dehors des contraintes « académiques » de leur époque ou en rupture avec elles.
A part ça, Cyril, si vous avez un texte ou des supports pour votre cours sur les variétés de capitalisme, ça m’intéresse.
http://ineteconomics.org/blog/inet/edward-fullbrook-toxic-textbooks
Très interessant développement de l’affaire Mankiw ; de quoi donner de la substance aux revendications vides des étudiants « insurgés »
Intéressant ? Le mec a lu le premier chapitre d’un manuel de premier année et en fait une critique sans savoir de quoi il parle.
Trop d’émotions, d’autres reprochent qu’ils n’y en a pas assez,
Pas assez de pluralisme, d’autres reprochent les querelles de chapelles etc etc… Le Nobel n’est pas un Vrai Nobel (pfff c’est la distinction la plus prestigieuse, Nobel ou pas).
C’est fatigant à force même si je crains que jamais ça ne s’arrête.
Je n’ai pas du tout compris vos réponses ; mais elles ont l’air intéressantes tout de même. Pourriez-vous les développer?
Pourquoi, selon vous, Fullbrook n’a-t-il pas compris le premier chapitre du textbook de Mankiw ?
Quels sont les « autres » qui reprochent qu’il n’y ait pas assez d’émotions dans la rhétorique des textbooks ?
[par contre j’arrive à comprendre vaguement l’opposition entre pluralisme et querelles de chapelles que vous dénoncez; même si les pluralistes prônent en général l’étalage des querelles de chapelles ; enfin si chapelles = écoles de pensées]
Et sur le Nobel ; c’est justement parce que c’est la plus prestigieuse que cette distinction est un problème puisqu’elle donne un crédit égale à des gens dont les théories permettent de construire des fusées à des gens dont les théories permettent de construire … des crises, etc.
Et du coup qu’est ce qui est fatiguant « à force » ? Les gens qui critiques la manière mainstream d’enseigner l’économie ?
Ce texte me paraissait être une critique constructive assez pertinente… surtout d’un point de vue épistémologique. Du coup vos réponses m’intéressent particulièrement.
Par les autres, je parlais de tous ceux qui ont lu l’intro d’un manuel de premier année et qui critiquent l’économie comme s’ils en avaient fait le tour.
Pour l’émotion, je pensais à ceux qui disent que l’économie ne considère les individus que dans leur aspect rationnel alors qu’un individu ça à aussi des émotions (sans blagues?) même si j’ai jamais vraiment compris jusqu’où ils tirent des conclusions de cette hypothèse (pour rappel, on appelle des fois l’économie la science lugubre. Taper éconoclaste et science lugubre dans google vous trouverez surement des trucs).
Sur le Nobel, la critique revient régulièrement, elle n’est pas
nouvelle (voir ici : http://econoclaste.org.free.fr/dotclear/index.php/?pdf/490/ ).
Et non, les économistes ne sont pas à l’origine des crises. Ils essaient de les expliquer. En caricaturant, un économiste c’est un cinquantenaire, fonctionnaire, qui donne ses cours lit des PDF et écrit des articles. Je vois pas en quoi être prof d’éco plus que de lettres entraine une responsabilité dans la crise des subprimes.
Quand à la critique épistémologique pertinente…. venant d’un lecteur de ce blog, je trouve ça déplacé 😉 .
Je viens de retrouver ce lien ( http://econoclaste.org.free.fr/dotclear/index.php/?2007/07/04/967-lettre-ouverte-a-un-etudiant-en-economie-qui-s-ennuie ) ou Alexandre Delaigue explique mieux que moi tout ça.
Désolé, je réponds ici car il n’y a pas de bouton « répondre » sur votre dernière réponse…
– je pense que vous confondez les gens dont vous parlez (mais dont je ne vois pas du tout de qui vous parlez si ce n’est peut être des gens extérieur au champ de la recherche en économie) avec d’autres qui ne critiquent non pas l’économie à partir de textbooks, mais la manière dont elle est enseignée ; et notamment le gap existant entre la recherche (où le pluralisme domine, i.e. il n’y a plus vraiment une orthodoxie bien identifiée) et l’enseignement de l’économie (où on enseigne une « doctrine » « néoclassique » sans préciser qu’elle ne fait plus l’unanimité dans le champs de la recherche). Cet article de John Davis explique bien ce point : http://ideas.repec.org/a/cup/jinsec/v2y2006i01p1-20_00.html
– ensuite vous confondez clairement, d’une part les économistes comportementaux ou autres, qui, travaillant sur la rationalité économique, tentent d’intégrer l’impact des émotions dans la prise de décision ;et, d’autre part, les gens comme Fullbrook qui dénoncent l’usage d’une réthorique qui vise à susciter des « émotions » chez les étudiants pour les « endoctriner »
– sur la critique du prix Nobel, elle n’est pas nouvelle en effet (Hayek l’a même dénoncer pendant son discours de remise de son Nobel) ; mais elle n’en est pas moins toujours pertinente aujourd’hui
– je pense également que vous avez oublié d’ajouter « je pense que » sur le rôle des économistes dans les crises car c’est un débat d’actualité qui n’est pas (et ne sera jamais?) tranché ; étant donné que des économistes ne font pas qu’enseigner mais sont également politiciens, banquiers etc.
– pour le post d’Alexandre Delaigue, il est intéressant et justement très représentatif d’une certaine vision dominante de l’économie comme une science dure, où la notion de vérité n’est même pas discutée. Je la trouve intéressante et en même temps assez confuse ; je ne comprends pas la remarque sur les étudiants en socio qui ne se plaignent pas du manque de pluridisciplinarité (titulaire d’un M1 de socio, j’ai pu constaté que l’enseignement de la socio était pluridisciplinaire, i.e. on explique que les résultats dépendent d’écoles de pensées et de point de vue etc. ; donc bien évidemment qu’ils ne s’en plaignent pas, puisqu’elle est là). Et puis ces histoires de processus de sélection (être le meilleur de sa promo étant le but ultime de tout étudiant), sous-tendent également une vision de l’enseignement de l’économie assez contestable ; même s’il marque un point étant donné qu’il la décrit (et c’est effectivement comme cela que l’enseignement de l’économie est envisagée à l’université) plus qu’il ne la justifie (même si l’on comprend bien qu’au fond il est d’accord avec cela.
– je maintien la « pertinence » de la critique épistémologique ; malgré le fait que je sois un lecteur de ce blog… (je n’ai d’ailleurs pas compris ce que cela sous-entendais…) [j’ai également un M2 d’épistémologie économique, et viens de commencer une thèse dans ce domaine, si cela compte aussi…]
Je me permets d’intervenir dans ce thread car il me semble que vous faites fausse route lorsque vous écrivez que « la recherche (où le pluralisme domine, i.e. il n’y a plus vraiment une orthodoxie bien identifiée) » ou encore « on enseigne une « doctrine » « néoclassique » sans préciser qu’elle ne fait plus l’unanimité dans le champs de la recherche ». D’où sortez-vous pareilles sottises ? Bien sûr qu’il y a un consensus majeur en sciences économiques, peut-être moins en macro mais en micro c’est incontestable. Et ce consensus est « post-néoclassique », depuis bientôt 40 ans ! (avec l’arrivée, en gros, des premières grosses défaillances de marché dans la recherche)
Après vous trouverez toujours des supposés « hétérodoxes » dont la plupart sont malheureusement des gens fainéants qui se constituent une « expertise » à bon compte (les vrais hétérodoxes qui proposent de vraies critiques pertinentes sont bien rares). Que ces gens tiennent un certain discours n’en fait pas une vérité.
A la réponse de Do, que je trouve excellente, j’ajoute que tous les politiques, qu’ils soient ou non au pouvoir, s’entourent d’un panel d’économistes acquis à leurs idées, et qui ont une influence certaine sur leurs actions et sur leurs promesses. En plus, bien des économistes sont nommés à des postes opérationnels sur la base de leur réputation en tant qu’économistes (songez par exemple à DSK…) Donc oui, les économistes, même académiques, ont une responsabilité dans la vie réelle, notamment dans les crises.
N’oublions pas Trichet, Greenspan et Bernanke (enfin tous les patrons de banque centrale) ; enfin cela ne veut pas dire qu’ils ne peuvent pas résoudre des problèmes non plus…
à Olivier : je suis très intéressé par le consensus post-néoclassique en microéconomie dont vous parlez; avez vous des références ; ou quel en est selon vous le texte fondateur?
De mes lectures, je ne voyais pas d’orthodoxie car : l’économie comportementale, l’économie expérimentale, la théorie de la complexité, la théorie des jeux, la théorie comportementale des jeux, la théorie évolutionniste des jeux, la neuroéconomie sont des approches en micro qui cherchent en quelque sortes à s’imposer en orthodoxie, depuis la « fin » de l’équilibre générale fin 1970. [et elles sont « mainstream » par opposition aux heterodoxies « traditionnelles » : marxisme, autrichien, sociologie économique, économie féministe etc. qui n’ont aucun lien avec le « néoclassicisme »]. Par contre elles ont toutes des liens différents avec la théorie néoclassique. Mais je ne vois pas où est le consensus là dedans. Après, peut être soutenez vous que le consensus en micro ne concerne que la théorie des jeux… ce qui est sensé également… mais c’est quand même ignoré la diversité des publications des dix dernières années dans des journaux majeurs comme l’AER etc.
Après pour l’enseignement et la « doctrine néoclassique » (je maintien les guillemets car l’expression est difficilement définissable aujourd’hui) ; même si vous avez raison et qu’il y a un consensus post-néoclassique en micro, alors enseignons au moins la micro néoclassique de manière critique en prévenant que cela ne fait plus consensus ; mais qu’il faut en comprendre les imperfections pour comprendre le consensus qui en a suivi et/ou faire ensuite de la recherche … démarche pédagogique assez rare à l’université (mais qui existe tout de même dans certaines).
Les références ? Mais ouvrez donc un manuel récent d’économie, vous en aurez à la pelle… Ce débat n’existe que parce que votre culture économique « mainstream » est défaillante, il faut que vous preniez conscience de cela, surtout si vous êtes en thèse et que votre ambition (je spécule) est de proposer une « critique » de la théorie néoclassique ; vous ne savez manifestement pas de quoi vous parlez, et dans 10 ou 20 ans vous serez aigri d’être passé â côté de l’essentiel. Alors LISEZ, et entièrement ni une position hypercritique des ouvrages que vous estimez « néoclassiques » et surtout RÉCENTS. Ergoter sur un ouvrage d’il y a vingt ans est sans le moindre intérêt.
Pour, quand même, répondre à votre question sur les approches que vous citez, celles-ci existent effectivement et ont déjà considérablement enrichi le corpus initial ; mais, comme vous devez vous en doutez, elles ne l’ont pas remplacé en vertu du rasoir d’Ockham (une carte à l’échelle 1 n’est plus une carte, â charge ensuite à chacun de trouver le bon équilibre entre explicativité et simplicité). Vous rassemblez toutefois des champs intégrés au corpus depuis trente ans (théorie des jeux) et d’autres qui ont encore à faire largement leurs preuves (économie de la complexité, notamment). Il faut que vous compreniez qu’en économie prétendre avoir une nouvelle théorie explicative ne suffit pas à lui donner droit de cité ; il faut surtout convaincre ses pairs qu’elle est préférable aux théories pré-existantes (rasoir d’Ockham again). À ce moment là la théorie sera disséquée jusque dans ses moindres détails, et j’espère pour vous qu’elle tiendra la route ou que vous serez capable de l’amender. Le cas échéant vous finirez aigri dans une université secondaire à la tête d’une supposée « école de pensée » dont tout le monde se moquera.
Toutes ces approches que vous citez, au-delà d’une diversité qui n’en fait pas un groupe homogène et qui demanderait donc une analyse au cas par cas (oui, ça devient tout de suite bien moins sexy…), n’ont pas de raison d’avoir un quelconque traitement de faveur par rapport au corpus initial sous prétexte qu’elles seraient « hétérodoxe », à moins que vous ne supposiez qu’il doit être tout fait pour critiquer ce corpus. Au-delà du fait que vous ne le connaissez manifestement pas (lisez EN ENTIER le manuel d’Étienne Wasmer), cette supposition est de l’idéologie et nous quittons alors le champ de la science.
Ah oui, et je tire toutes mes « sottises » des travaux de John Davis (spécialiste en histoire récente de la pensée économique et méthodologie économique), sur lesquels je manque peut être effectivement de recul critique.
Rapidement : non mon ambition n’est pas de proposé une critique de la théorie « néoclassique » car je pensais que celle-ci n’existait même plus (sauf dans les cours que j’ai reçus à la fac, surtout en licence) ; elle est du côté moins sexy (que je trouve moi extrêmement attirant) de comparer au cas par cas, et d’un point de vue épistémologique, le type de « nouvelles approches » que j’ai cité (en commençant par l’économie comportementale).
La justification de cette démarche (i.e. « le traitement de faveurs » de ces « hétérodoxies », que je considère (à tort?) comme étant mainstream) repose sur les échanges disciplinaires que supposent ces approches (peut-être par opposition au corpus dont vous parlez ; mais vous avez raison, je ne le connais pas). En effet je pense que cela permet de jeter un nouveau regard intéressant sur les question d’encastrement/désencastrement de l’économique par rapport au social (et au politique). Donc mon ambition première n’est pas du tout de proposer ou d’imposer une approche en particulier.
Sinon merci pour l’ouvrage de Wasmer, cela me sera très utile pour comprendre la substance du corpus « post-néoclassique » dont vous parlez.
Toujours à Olivier ; j’aimerais beaucoup avoir votre avis sur au moins un de ces trois articles de Davis, si vous avez le temps d’en lire un : http://ideas.repec.org/a/oup/cambje/v32y2008i3p349-366.html
http://ideas.repec.org/a/taf/jecmet/v14y2007i3p275-290.html
http://ideas.repec.org/a/cup/jinsec/v2y2006i01p1-20_00.html
Une dernière chose : que vos cours de licence vous aient semblé « néoclassique » peut tout simplement s’expliquer par… le fait qu’avant de discuter de choses avancées il faut d’abord commencer par se taper les bases, qui sont certes moins sexy que l’économie comportementale ou je ne sais quoi. Mais vous ne courrez pas le Tour de France sans d’abord commencer avec des roulettes…
@OSC
Dommage que votre réponse de ce soir « termine » votre « participation ». J’aurais aimé comprendre.
Ce n’est pas parce que le livre de Fillieule ne traite pas tous les aspects de la question que ce qu’il dit est faux ou sans intérêt. Et je suis content que vous le trouviez impartial.
Je me pose une autre question : une « big picture » ne serait-elle pas de nature à pouvoir à nouveau mieux vendre la science économique auprès du grand public ? Je ne parle pas de la défiance post-crise mais bien de l’éclatement qui rend, pour le profane, l’économie assez peu intelligible de prime abord, avec les conséquences (pour ne pas dire les risques) qui pèsent sur la pérennité de son enseignement à terme (je fais ici référence au constat manifestement partagé en Europe de la diminution des effectifs en master d’économie).
Alors moi je suis qu’en L2 (en prépa quand même) donc je vais sans doute dire plein de betises, mais autant si nos profs nous disent que la macro c’est plus ou moins le bordel (au sens que justement à pas théorie génerale) en micro c’est asser clair et depuis que des gens comme Allais, Debreu , Samuelson sont passés par là, la micro est « stable » et « mainstream »…
Alors c’est peut être pas vrai d’aprés certains posteurs ici, mais ce que nos profs (qui sont normalien quand même) nous disent..!
Et bien du coup, je ne sais pas si les contributions d’Allais, Debreu et Samuelson représentent le consensus post-néoclassique en micro dont parle Olivier ; mais (même) si ça n’est pas le cas, ce sont des auteurs qui sont nécessaire à la compréhension de ce consensus (peu importe quels sont les auteurs qui l’on constitué).
La véritable question se trouve dans la manière de les enseigner : est-ce qu’on les donne tel quel sans aucun sens critique (pour reprendre la métaphore : on donne le vélo avec les petites roulettes sans expliquer qu’il est possible de faire ensuite du vélo sans roulette) ; ou est-ce qu’on pose les critiques au fur et à mesure et on n’attend pas que les élèves arrivent en M2R pour leur apprendre que le monde de la recherche ne consiste pas simplement à prendre ces auteurs et à les appliquer à des études empiriques… (pour reprendre la métaphore : on donne le vélo avec les roulettes et on explique qu’il est possible plus tard d’en faire sans, et que même, si on en fait bien, on pourra envisager le tour de France).
En fait, les questions que vous posez n’intéresse personne avant le M2 recherche. De façon générale, les critiques ne peuvent être enseignées et comprises qu’un fois qu’on a digéré la théorie ; donc pas avant le M1. Après, elles sont largement enseignées. Un exemple, le manuel de micro de référence en micro, le Mas Colell (du nom de son auteur), pourtant très formalisé, aborde les « paradoxes » mis en lumière par l’économie comportementale quand il aborde les préférences et le choix dans l’incertain et de fait, les place dans au même niveau qu’elle parmi les choses fondamentales à connaitre en micro.
Le problème de beaucoup de gens, c’est qu’ils ne comprennent pas (ou ne font pas l’effort de comprendre), trouvent ça nul et vont chercher le réconfort dans les critiques de bas niveau.
Tout cela a été dit et redit sur d’autres blogs. Un autre lien pour vous éclairer : http://www.leconomiste-notes.fr/dotclear2/index.php/post/2007/07/02/56-combat-d-arriere-garde
.
C’est vrai qu’il existe un certain consensus des profs sur ce qui constitue la « bonne » économie. Donc si votre seule ambition est de réussir les examens et d’obtenir vos diplômes, ne sortez pas (trop) de ce consensus, écoutez religieusement ce que disent vos profs et dites ce qu’ils ont envie d’entendre.
Mais si vous voulez comprendre un peu d’économie, alors il va falloir assez vite aller voir ailleurs, lire des « hétérodoxes » et vous faire votre propre opinion sur les différentes approches théoriques. Et si vous en concluez que la bonne théorie est celle du mainstream, c’est votre problème.
A propos, je complète ma recommandation par cet article de Wikipedia, qui est plus explicite que Fillieule sur les questions méthodologiques: http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89cole_autrichienne_d%27%C3%A9conomie
(ça me fait bien marrer que OSC dise que Wikipédia est plus impartial que des idéologues dans mon genre : cet article doit être de moi à 75% – vous pouvez vérifier par l’historique)
.
La spécialisation des économistes est finalement l’application de la manufacture d’épingles d’Adam Smith, non ?
Blague à part, c’est un phénomène à la fois nécessaire et préoccupant, car en effet il n’y a plus de vision globale, bien souvent. On devrait essayer de concilier spécialisation et transversalité, du genre 2/3 – 1/3.
Samuelson disait qu’il était le dernier économiste généraliste. Je souhaite qu’il ait tort un jour.
La transversalité et la spécialisation ne sont pas deux termes diamétralement opposés. Bien au contraire, c’est même au plus haut niveau de spécialisation que l’on est amené à faire preuve de transversalité, et il ne s’agit pas là de convictions plus ou moins acceptées comme j’essaye de le montrer, mais d’une véritable connaissance des choses, propre à vous faire découvrir les choses en soi, avec un peu de spécialisation.
Quel grand intellectuel ne dispose pas d’un savoir inter-disciplinaire?
Je ne me suis pas arrêté à Smith. J’aurais pu parler de la méthode de montecarlo, ou des algorithmes et arbres à décisions, mais je m’enfermerai dans une « rationalité limitée » propre au spécialiste.
L’intuition est simple et évidente. Un certain monsieur disait que si vous n’arrivez pas à expliquer une théorie à un enfant de 10 ans, c’est que vous ne la comprenez pas vous-même. Le monde, je vous l’avoue se complexifie tellement, que la dimension humaine est difficile à retrouver dans les 10 dimensions!
(Je cite un Grand spécialiste qui a montré avec simplicité la relation de la masse et de l’énergie, et qui a même fondé une théorie qui contredisait la sienne, mais qui la crée quand même, car elle montrait des faits qui dépassent toute spéculation hypothétique à un niveau de spécialisation réservé à une petite élite.)
C’est la simplicité qui me fait aimer les grandes choses comme tout le monde. Et le mystère de la foi me fait découvrir les plus grandes..
De plus, les scientifiques de renom se sont vus confrontés aux problèmes fondamentalement philosophiques, sauf ceux peut-être qui croient aux vertus du formalisme. Je parle de philosophie qui est la facon pour moi de parler des hommes, je n’arriverai pas à en parler uniquement avec une spécialisation technique.
L’objectivité et l’attitude critique s’acquièrent tous les deux par une spécialisation et une transversalité. On devrait plutôt d’ailleurs parler d’ouverture d’esprit, si vous m’avez suivi