Cowen sur égalité et priorité

Dans un article paru dans le New York Times et dans un billet sur Marginal Revolution, Tyler Cowen défend l’idée que la mise en avant des inégalités sur le plan moral est une « pure et simple erreur ». Bien qu’il ne précise pas vraiment la nature de cette erreur, on comprend à la lecture de l’article que ce que Cowen considère comme moralement significatif est le niveau de bien-être absolu des membres d’une population. Dans son billet, Cowen fait d’ailleurs référence au prioritarisme, laissant sous-entendre que ce qui est moralement important n’est pas de réduire le niveau des inégalités mais plutôt d’améliorer en priorité le niveau de vie des membres de la population les moins bien lotis.

Cowen reprend ici la distinction entre égalité et priorité telle qu’elle a été explicitement élaborée par le philosophe Derek Parfit dans la Lindley Lecture. L’idée de Parfit est que même si de nombreux individus, économistes et philosophes inclus, préfèreront généralement une société où le niveau d’inégalité est relativement faible, la plupart du temps la raison pour cette préférence ne tient pas au fait que les inégalités sont considérées comme intrinsèquement mauvaises (ce qui sera le point de vue de l’égalitariste). Selon Parfit, la raison est plutôt que la plupart d’entre nous s’accordent à accorder une priorité morale à l’amélioration du bien-être des plus démunis. Plus précisément, l’augmentation du bien-être d’une personne a une valeur morale d’autant plus importante que le niveau absolu de bien-être de cette personne est faible. Parfit illustre cette conception avec une métaphore :

“People at higher altitudes find it harder to breathe. Is this because they are higher up than other people? In one sense, yes. But they would find it just as hard to breathe even if there were no other people who were lower down. In the same way, on the Priority View, benefits to the worse off matter more, but that is only because these people are at a lower absolute level. It is irrelevant that these people are worse off than others. Benefits to them would matter just as much even if there were no others who were better off”

La différence entre égalitarisme et prioritarisme tient donc au fait que ce dernier serait non-comparatif (ou non-relationnel), dans le sens où l’évaluation de la valeur morale d’un bénéfice (une certaine quantité de bien-être) conféré à une personne ne dépend pas de la situation de cette personne par rapport aux autres ; seul son niveau de bien-être absolu est moralement significatif. Selon Parfit, un argument décisif en faveur du prioritarisme est que cette doctrine n’est ainsi pas sujette à la « levelling down objection » à laquelle Cowen fait allusion dans son article : si les inégalités sont intrinsèquement mauvaises comme le soutiennent les égalitaristes, alors le fait de diminuer le bien-être des mieux lotis sans augmenter celui des moins bien lotis doit améliorer la situation sous au moins un aspect, ce qui est éthiquement difficile à accepter d’après Parfit. Pour un prioritariste, au contraire, cette réduction des inégalités ne peut être considérée comme une amélioration sous quelque aspect que ce soit.

Les quelques allusions de Cowen au prioritarisme masquent toutefois la complexité de la distinction entre prioritarisme et égalitarisme. Il y aurait par exemple beaucoup à dire sur la « levelling down objection », en notant par exemple qu’aucune doctrine égalitariste ne considère que la seule diminution du bien-être des mieux lotis constitue une amélioration sur le plan moral une fois que tous les aspects éthiquement pertinents sont pris en compte. Par exemple, des versions de l’égalitarisme, telles que celles qui reposent sur le critère du leximin, sont compatibles avec le principe de Pareto. Les différentes variantes de l’égalitarisme, comme n’importe quelle autre doctrine morale (utilitarisme, prioritarisme), reposent sur la combinaison et éventuellement la pondération de différents « aspects » ou « idéaux » dont l’inégalité (ou l’égalité) n’est que l’un parmi d’autres.

Plus délicate encore est l’idée, sous-entendue par Cowen, que le prioritarisme est une doctrine non-comparative ou non-relationnelle. Une littérature assez récente montre que le prioritarisme ainsi appréhendé est contraire à de nombreuses intuitions morale (voir cette synthèse d’Otsuka et Voorhoeve). Le prioritarisme au sens de Parfit conduit notamment à ne pas distinguer les arbitrages moraux intra- et inter-personnels. Prenons l’exemple suivant (tiré de l’article précédemment cité) :

O&V

Vous avez deux enfants, Denise et Edmund et vous devez choisir entre déménager en banlieue ou en centre ville en tenant compte exclusivement des bénéfices en termes de bien-être pour vos deux enfants. On distingue deux cas : dans le cas « arbitrage intrapersonnel », Edmund est non affecté par votre choix (son niveau de bien-être est le même quelque soit votre choix) ; concernant Denise, il y a une incertitude sur l’option qui lui serait la plus bénéfique, tout en faisant l’hypothèse que son utilité espérée est maximisée en allant en banlieue plutôt qu’en ville (d > 0 dans le tableau). Dans le cas « arbitrage interpersonnel », déménager en banlieue peut soit bénéficier à Denise (avec une probabilité de 0,5), soit nuire à Edmund, par rapport au fait d’aller en centre-ville. Comme d > 0, l’utilité espérée totale est maximisée par le choix d’aller en banlieue. Il est facile de voir que le prioritarisme (dans sa version ex post, c’est-à-dire qui applique la priorité morale aux utilités finales, et non aux utilités espérées des individus) conduira à la même préférence sociale dans les deux cas. Or, il y a une différence significative sur le plan moral entre les deux cas : dans le cas intrapersonnel, la décision (aller en centre-ville ou en banlieue) n’affecte que Denise, tandis que dans le cas interpersonnel, elle affecte à la fois Denise et Edmund. Donner une priorité morale au bien-être de l’enfant désavantagé est plausible dans ce dernier cas. Mais dans le cas intrapersonnel, on peut raisonnable arguer que la décision doit uniquement être dictée par l’intérêt personnel de Denise, et dès lors il semble préférable de choisir l’option qui maximise son utilité espérée. De ce point de vue, le prioritarisme, comme l’utilitarisme selon la fameuse critique de Rawls, ne reconnait pas la « séparation » morale des personnes.

Ce problème ne remet pas en cause complètement le prioritarisme. On peut en effet tout à fait concevoir une version de cette doctrine qui distingue les arbitrages intra- et inter-personnels. Mais le seul moyen de faire cela est de réintroduire une dimension comparative, ce qui rapproche alors le prioritarisme de l’égalitarisme. Cela n’implique pas nécessairement que le prioritarisme « comparatif » et l’égalitarisme sont identiques, mais au moins que l’aspect relatif aux inégalités est moralement significatif pour le prioritariste.

Un autre moyen de défendre le prioritarisme est de le combiner avec une forme de « sufficientisme ». Cela semble clairement être la position de Cowen lorsqu’il fait référence aux travaux de Sher et Frankfurt. L’idée est d’accorder une priorité absolue au bien-être des individus dont le niveau de vie est en-dessous d’un certain seuil. Cette position ne dépend pas de considérations liées aux inégalités et semble éviter au moins en partie la critique évoquée plus haut concernant la séparabilité des personnes. Toute la difficulté tient bien entendu à la définition du seuil de bien-être au-delà duquel plus aucune priorité n’est accordée : si ce seuil est absolu (indépendant du niveau de vie dans la population), alors les implications dans les pays riches peuvent être radicalement anti-égalitaristes ; si le seuil est relatif, on peut s’attendre à des problèmes de cohérence dans la définition des préférences sociales.

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Utilitarisme et théorie de l’utilité espérée: les deux théorèmes d’Harsanyi (diaporama de cours)

J’ai achevé l’élaboration d’un diaporama sur l’utilitarisme et la théorie de l’utilité espérée pour mon cours « Economie normative et équité » dans le cadre du M2 recherche de ma fac. Vu qu’il aborde un thème souvent discuté ici, il pourrait intéresser un certain nombre de lecteurs. Tous les avis et commentaires sont les bienvenus ! Les deux autres diapos porteront respectivement sur le welfarisme et ses limites et sur la distinction entre prioritarisme et égalitarisme.

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Priorité et égalité en économie normative

Dans le cadre d’un cours de M2 recherche sur des thèmes relatifs à l’économie normative, je prépare une séance sur la distinction entre égalitarisme et prioritarisme. Cette distinction a été proposée de manière explicite par le philosophe Derek Parfit dans un article justement intitulé « Equality or Priority ? ». Parfit suggère dans cet article que de nombreuses théories en apparence égalitaristes sont en réalité fondée, non pas sur l’idée que les inégalités entre les personnes sont intrinsèquement une mauvaise chose, mais plutôt sur l’idée qu’il faut donner une priorité plus ou moins forte aux personnes dont le niveau de bien-être est faible dans l’absolu. La différence clé réside ainsi dans le fait qu’un égalitariste s’intéresse aux différences relatives de bien-être et considère que ces différences sont intrinsèquement mauvaises, tandis que le prioritariste s’intéresse au niveau absolu de bien-être de chaque membre de la population. De ce point de vue, tant le prioritariste que l’égalitariste favoriseront toutes choses par ailleurs les moins inégalitaires, mais pour des raisons radicalement différentes. Lire la suite

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Séminaires de John Bryan Davis à Reims

L’UFR de sciences économiques, sociales et de gestion de l’Université de Reims Champagne-Ardenne et le laboratoire d’économie-gestion REGARDS auront le plaisir d’accueillir l’économiste John Bryan Davis pour une série de séminaires en mai prochain. John Davis est un contributeur majeur dans le champ de la philosophie de l’économie ainsi que le co-éditeur du Journal of Economic Methodology.  Le programme en version pdf est ici. Les séminaires auront lieu sur le campus de la faculté aux dates et sur les thèmes suivants :

Mardi 19 mai 2015, à 14h (salle polyvalente, bâtiment 13) :
« Reflexivity and instability in boom-bust cycles »

Jeudi 21 mai 2015, à 14h (salle E14, bâtiment 13) :
« Developing health capabilities »

Mardi 26 mai 2015, à 14h (salle polyvalente, bâtiment 13) :
« Economics imperialism and multidisciplinarity »

Les séminaires sont évidemment ouverts au public. Pour tout renseignement, n’hésitez pas à me contacter.

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Quelques workshops à venir

J’aurai le plaisir de participer d’ici la fin du mois à deux workshops dont les thématiques devraient intéresser de nombreux lecteurs du blog. Tout d’abord, le workshop « Historical, Methodological and Philosophical Perspectives on Microeconomics » organisé par le GREDEG et l’Université de Nice le 27 mars. J’y présenterai mon working paper « Sen’s Critique of Revealed Preference Theory and Its « Neo-Samuelsonian Critique »: A Methodological and Theoretical Assessment« . Quelques jours plus tard, les 30 et 31 mars, je participerai au workshop international « Paternalism Redeemed: old ideas, new realities » organisé par Christophe Salvat et le laboratoire Triangle à Lyon. J’y présenterai cette fois un working paper que je n’ai pas encore posté ici, et intitulé « Normative Economics and Paternalism: The Problem with the Preference-Satisfaction Account of Welfare« .

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Le « parétianisme » comme doctrine morale

Il y a quelques mois, l’économiste Glen Weyl et le juriste Eric Posner proposaient une « solution » polémique aux inégalités de revenus au niveau de la population mondiale : s’inspirer de l’exemple du Qatar en accueillant une main d’œuvre en provenance des pays pauvres sur la base d’un statut de « sous-citoyen ». L’idée est assez simple : le Qatar, à l’instar d’autres pays du Golfe, offre l’opportunité à des travailleurs du Bangladesh ou d’Inde de gagner en moyenne 5000$ par an, alors que ces mêmes travailleurs gagneraient en moyenne 1000$ par an en restant dans leur pays. La contrepartie est que ces travailleurs ne disposent pas des mêmes droits que la population locale et que les conditions de travail sont particulièrement difficiles. L’argument de Weyl et Posner est simple : en accueillant ainsi des travailleurs en provenance de pays pauvres, les pays du Golfe permettent à une population de s’enrichir tout en profitant de leur côté d’une main d’œuvre qui reste « bon marché » et surtout extrêmement malléable. Sachant qu’en moyenne ces travailleurs vont renvoyer dans leur pays environ 75% de leurs gains, un tel système bénéficie à un très grand nombre de personnes sans, en principe, « pénaliser » qui que ce soit. Lire la suite

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Analyse coût-bénéfice, paternalisme et économie comportementale

Je travaille actuellement sur un papier portant sur l’introduction de considérations paternalistes en économie normative, et plus précisément sur l’articulation entre la définition du bien-être comme satisfaction des préférences, caractéristique de l’économie du bien-être standard, et les débats sur le paternalisme et l’autonomie qui se développent depuis quelques années suite aux travaux de Thaler et Sunstein sur le « paternalisme libéral ». Un aspect intéressant est qu’une partie des économistes (pas tous néanmoins) qui défendent une approche plus ou moins paternaliste utilisent toujours la définition standard du bien-être (comme par exemple Douglas Bernheim et Antonio Rangel dans leurs travaux sur la « behavioral welfare economics »). Cela semble paradoxal car la définition du bien-être comme satisfaction des préférences a été historiquement fondée sur un principe de « souveraineté du consommateur » aux antipodes du paternalisme.

Au-delà des développements de l’économie comportementale et des réflexions sur la paternalisme libéral, ce qui motive cette réflexion est également l’importance de cette problématique du point de vue de l’analyse coût-bénéfice. Cette dernière occupe une place centrale dans les pays anglo-saxons, et plus particulièrement aux Etats-Unis où les agences fédérales ont l’obligation de mener une analyse coût-bénéfice dès lors que la réglementation envisagée atteint une certaine échelle. La mesure de ces coûts et bénéfices est évidemment un problème méthodologique et théorique majeur. Traditionnelement, ils sont mesurés en termes de disposition à payer et de disposition à accepter, autrement quelle valeur monétaire un agent économique accorde à la mise en oeuvre d’un projet ou au contraire au statu quo. La connexion avec la définition du bien-être en termes de satsifaction des préférences est évidente : si l’on considère que les dispositions à payer/accepter des agents dépendent de leurs préférences, l’analyse coût-bénéfice amène ni plus ni moins à mesurer le bien-être pour déterminer l’alternative qui le maximise.

L’introduction de considérations paternalistes dans le cadre de l’analyse coût-bénéfice peut être concrètement illustrée. Ainsi, l’année dernière aux Etats-Unis, la Food and Drug Administration (FDA) a mené une analyse coût-bénéfice concernant l’inscription d’avertissements conernant les dangers du tabac sur les paquets de cigarettes (voir ce billet sur Orgtheory, dont est issue la photo ci-dessous) :

https://orgtheory.files.wordpress.com/2014/12/smokers.jpg

Dans son analyse, la FDA a accordé une grande importance à la perte de bien-être générée par ses avertissements, en raison de la supposée baisse du plaisir lié au fait de fumer qui en résulte. On peut considérer ici que la FDA a apppliqué à la lettre le principe de souvenraineté de consommateur. Mais ce qui motive la réflexion de mon article est la critique développée par une équipe d’économistes dans laquelle figure notamment Thomas Schelling et Daron Acemoglu. Dans la section consacrée à la mesure du surplus du consommateur, ces économistes écrivent ainsi (p. 12 et suivantes) :

Once smokers begin smoking, extensive behavioral economic and psychological research shows that their decision to continue to smoke are time inconsistent, satisfying their short‐run desire for immediate gratification rather than their long‐run desire for good health, then later regretting these decisions. Data from the 2002 wave of the ITC‐US Survey show that more than nine out of ten smokers agreed or strongly agreed with the statement « If you had to do it over again, you would not have started smoking » (Fong, et al., 2004). Similarly, CDC reports that in 2010, nearly seven out of every ten smokers reported that they wanted to quit smoking completely and more than half of all smokers stopped smoking for at least one day because they were trying to quit smoking (CDC, 2011). Yet only 2.7 percent of smokers quit each year (Warner and Mendez, 2010).

These data strongly suggest that many, and likely the vast majority of smokers do not find smoking ‘pleasurable’ and derive little ‘consumer surplus’ from smoking. Instead, most continuing smokers are avoiding the withdrawal symptoms they would experience if they were able to stop smoking and break the addiction that most regret having ever started. Indeed, Gruber and Mullainathan (2005) find that the self‐reported happiness of potential smokers rises when cigarette taxes are increased. This is consistent with quitting causing an increase, rather than a reduction, in consumer surplus. Note that smoking literally rewires the brain (Arain, et al. 2013), a phenomenon not familiar to many economists but indicative of a biological barrier to smokers’ exerting the self‐control that is essential in the model of rational consumer behavior.

In discussing the issue of how to treat lost consumer surplus in this type of economic impact analysis, we decided that it was most informative to separate smokers into those who became regular smokers before the legal age of smoking, and those who become regular smokers thereafter. For the former group, society has clearly decided that the decision to initiate smoking is an irrational decision and any changes in their conventionally‐calculated consumer surplus resulting from changes in their tobacco use in response to GWLs or other actions should not be counted as a cost in the economic impact analysis of FDA’s rules on tobacco. This is illustrated by laws regulating youth access to tobacco products, including FDA enforcement of a national legal purchase age of 18 for tobacco products over which it has jurisdiction. We refer to this as the ‘principle of insufficient reason’ approach and argue that the benefits to those who started using tobacco products regularly before 18 years of age and who quit in response to FDA regulatory actions should not have any offset for lost consumer surplus.

(…)

For adult initiators, our consensus is that the larger failure is their inability to quit, even when that is their long run plan ‐ what we call the self‐control problem. In the simplest model, adults would smoke even if the pleasure they derive from smoking is less than the costs they incur if those future costs are excessively discounted, a calculus further complicated by addiction. If smoking is an addiction‐related, impulsive behavior, then GWLs could significantly affect how and whether such impulses are turned into smoking behavior. The behavioral economics literature has formalized the time‐inconsistencies that impede smokers’ quit attempts in two key theoretical concepts: present bias and projection bias. Present bias is the tendency to systematically overvalue immediate costs and benefits relative to those in the future, leading to impulsivity and self‐control problems (Laibson, 1997). Projection bias is the tendency to underpredict how much a person’s preferences will change in the future; that is, smokers may underpredict the degree to which they will value being smoke‐free (Lowenstein, et al., 2003).

(…)

Finally, as highlighted by Laux (2000), the importance of peer effects in smoking cause the amount of consumer surplus to be partly determined by societal smoking rates. Because of this, regulations that lead smokers to quit can lead to gains, or ‘negative losses,’ in consumer surplus. While peer effects are particularly important for young people (USDHHS, 2012), growing evidence indicates that they are also important for adults (e.g., Christakis and Fowler, 2008). How consumer surplus is affected by peer influences largely depends on social norms about smoking. As anti‐smoking norms get stronger, smokers are increasingly marginalized, implying that quitting smoking will enhance an individual’s well‐being. In the instance of the GWLs, this reflects the fact that decisions to quit smoking are made voluntarily by individuals. Note that peer effects are likely to be especially important among the low‐income and less educated, the populations with higher smoking prevalences.

L’analyse repose sur un savant mélange de résultats expérimentaux constitutifs de l’économie comportementale et de considérations normatives et évaluatives concernant la nature du bien-être. Ce dernier est tantôt défini en termes de plaisir ou de bonheur, tantôt en termes de satisfaction de préférences « rationnelles ». On a même l’idée que la satisfaction des préférences de certains « selves », que l’on identifie aux décisions prises avant l’âge de 18 ans, ne doivent pas être prise en compte dans le calcul du surplus du consommateur et donc dans la mesure du bien-être.

Au-delà du problème de la détermination de la rationalité des préférences ou de la justification du poids accordé aux décisions prises à tel ou tel moment de la vie, il est intéressant de noter que la question de l’autonomie (constituve du principe de souveraineté du consommateur) disparait complètement. Est-ce qu’il faut introduire cet aspect dans l’analyse coût-bénéfice (la perte d’autonomie étant alors un coût) ? Ou bien comme une contrainte au sein de laquelle s’insère l’analyse coût-bénéfice (on s’appuie sur les résultats de l’analyse dans la limite du respect d’un principe de liberté minimale) ? La difficulté que posent ces questions du point de vue de l’économie normative rappelle les limites d’une approche purement welfariste, largement mise en avant par Amartya Sen depuis les années 1970, lorsqu’il s’agit d’intégrer des considérations éthiques qui ne se réduisent pas à la satisfaction des préférences.

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Varoufakis et la théorie des jeux

Beaucoup l’ignorent, mais le nouveau ministre des finances grec, Yannis Varoufakis, est le co-auteur d’un manuel de théorie des jeux, de bonne facture au demeurant et aussi assez original par sa mise en avant des aspects méthodologiques et philosophiques relatifs à ce cadre théorique. Par conséquent, quand ce même Varoufakis explique que la théorie des jeux est inutile pour analyser la situation de négociation entre la Grèce et ses partenaires européens, cela à de quoi interpeler. L’analyse de Varoufakis est toutefois très discutable, comme le relève ce billet sur le blog « The Leisure of the Theory Class ». Un passage de l’article de Varoufakis n’est toutefois pas évoqué par le-dit billet :

The trouble with game theory, as I used to tell my students, is that it takes for granted the players’ motives. In poker or blackjack this assumption is unproblematic. But in the current deliberations between our European partners and Greece’s new government, the whole point is to forge new motives. To fashion a fresh mind-set that transcends national divides, dissolves the creditor-debtor distinction in favor of a pan-European perspective, and places the common European good above petty politics, dogma that proves toxic if universalized, and an us-versus-them mind-set.

L’idée que la théorie des jeux procède en supposant que les motivations des joueurs sont données est inexacte au moins à deux titres. Tout d’abord, une littérature importante relevant du « mechanism design » consiste précisément dans l’étude des « formes de jeux », c’est à dire des configurations stratégiques définies par un ensemble de règles et et où on ne spécifie pas les préférences des joueurs. Si l’on considère que les règles du jeu définissent le contexte institutionnel dans lequel se déroulent les négociations, la théorie des jeux permet précisément d’étudier les différents scénarios possibles suivant le profil de préférences des joueurs. C’est particulièrement utile lorsqu’il s’agit de réfléchir à la définition de règles « optimales », dans la lignée de la tradition contractualiste en philosophie politique.

Par ailleurs, rien n’empêche formellement de rendre les motivations des joueurs (leurs préférences) endogènes. On peut par exemple supposer que les préférences dépendent des croyances des joueurs sur le comportement des uns et des autres, ou plus directement que les préférences de certain joueur sont fonction des préférences des autres suivant un mécanisme d’interaction donné. Bref, le cadre théorique de la théorie des jeux est suffisamment « souple » pour intégrer le genre de considérations qu’évoque Varoufakis. Bien entendu, on peut parfaitement reconnaitre tout cela et continuer de penser que la théorie des jeux n’est pas pertinente comme outil d’aide à la décision. Mais ce sera pour d’autres raisons que celles que donnent Varoufakis dans son article.

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Un peu d’économie normative pour redémarrer

Il est peu de dire que le blog n’a pas été très actif depuis quelques semaines. Manque de temps, de motivation, etc., bref les problèmes classiques des blogs « artisanaux » sur la durée. Quoiqu’il en soit,  et sans pouvoir rien promettre quant à l’activité future ici, je met en ligne deux choses susceptibles d’intéresser les quelques lecteurs qui passeraient encore par là.

Mon collègue Fabien Tarrit et moi-même allons donner ce semestre un séminaire de recherche de 15h intitulé « Economie normative et équité » dans le cadre du parcours recherche commun au Master Economie Appliquée et au Master Management de l’Université de Reims. Voici le plan et la bibliographie. Je m’occupe pour ma part de la partie « Théorie de la décision, utilitarisme et prioritarisme ». Notez que la bibliographie ne prétend pas être exhaustive et que si vous avez des suggestions d’ajouts, elles sont les bienvenues.

Par ailleurs, et en lien direct avec le point précédent, je viens d’achever un working paper intitulé « Expected Utility Theory and the Priority View« . Les commentaires seront évidemment appréciés.

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Economie des droits de propriété ou économie de la « possession » ?

L’économie des droits de propriété, dont les développements ont conduit à l’émergence de la théorie des contrats incomplets (voir ce papier d’Aghion et Holden ou celui-ci de Tirole pour une bonne présentation) est la branche de la science économique qui s’intéresse à la manière dont l’allocation des droits de propriété affecte le comportement des agents au travers des incitations mises en place, et quelles sont les incidences en termes d’efficience. Si le « théorème de Coase » indique que l’allocation initiale des droits de propriété est neutre du point de vue de l’efficience, cela n’est vrai que si les coûts de transaction sont nuls et, de manière plus générale, si les contrats sont complets. Dès lors que les contrats sont incomplets (notamment si une information n’est pas observable ou vérifiable), l’allocation initiale n’est pas neutre et la théorie des contrats incomplets suggère que, du point de vue de l’efficience, les droits de propriété sur un actif doivent être alloués aux agents dont l’investissement marginal est le plus productif.

Dans ce working paper, l’économiste Geoffrey Hodgson souligne toutefois que ce que la théorie des droits de propriété appelle « droits de propriété » relève en fait davantage de la possession, autrement dit du contrôle effectif d’un actif. Effectivement, le critère de la propriété dans cette branche de la science économique est celui du contrôle résiduel d’un actif, autrement dit le fait d’avoir un pouvoir délibératif dans son usage, toute chose égale par ailleurs. Par extension, modifier l’allocation des droits de propriété revient à modifier l’identité des bénéficiaires résiduels, ceux dont les gains sont affectés à la marge par l’usage de l’actif. Un simple exemple de type principal-agent permet de comprendre ce point. Lire la suite

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Nouveau working paper : « Bargaining in the Mind »

Même si la récompense du « Prix Nobel » ne lui a pas été décerné à ce titre, Jean Tirole est l’auteur, avec Roland Bénabou, de plusieurs articles récents sur le « self-management ». Tirole et Bénabou y utilisent des modèles de « moi multiples » du même typeque ceux envisagés par Thomas Schelling il y a 30 ans, pour étudier les interactions entre les « selves » d’une même personne. Ces modèles montrent comment de telles interactions peuvent déboucher sur des problèmes d’incohérence temporelles ou, au contraire, comment un individu peut les prévenir.

Ces modèles, assez classiques sur un plan technique, sont très intéressants d’un point de vue philosophique et méthodologique, à la fois parce qu’ils interrogent le statut de l’économie comme discipline scientifique (vis à vis de la psychologie notamment) mais aussi parce qu’ils remettent en cause le lien entre économie positive et économie normative. C’est justement l’objet de mon dernier working paper « Bargaining in the Mind: The Significance of Multiple Selves Models for Positive and Normative Economics« . Voici l’abstract :

The rise of behavioral economics has contributed to make economics and psychology closer than they have ever been. One particular issue that has attracted much interest both by economists and psychologists is the problem of intertemporal inconsistency. Recent years have seen the development of several theoretical attempts to explain it, in particular through multiple selves models (MSM). MSM represent the intertemporal choices made by a same person as if they were made by a succession of distinct agents (the “selves”) endowed with their own preferences. In this paper, I make three related claims regarding the significance of MSM for positive and normative economics: 1) MSM are methodologically attractive for economists because they allow for the extension of major economic tools (e.g. game theory and bargaining theory) to new scientific issues; 2) MSM are explanatory relevant and credible for economists because they identify real behavioral patterns that help to account for significant empirical regularities; 3) MSM lead to a reconciliation problem between positive economics and the individualistic and welfarist foundations of normative economics. While the first two points actually reinforce the status of economics as a separate science, the third one emphasizes that MSM undermines the relationship between positive and normative economics. Therefore, economics needs a theory of personhood to preserve the linkage between its positive and normative sides. Three possibilities of reconciliation – respectively found in Parfit’s, Rawls’ and Sen’s writings – are examined.

Comme d’habitude, tous les commentaires sont les bienvenus !

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Incitation et « libéralisme »

Dans une intéressante réflexion sur la contribution de Jean Tirole à la science économique, Arnaud Parienty écrit :

Le postulat de base de Jean Tirole est que les individus, qu’il s’agisse de directeurs financiers, de traders ou du personnel politique, agissent en fonction de la structure des incitations, notamment financières, qu’ils rencontrent dans leur activité. « People repond to incentives », comme résument Steven Levitt et Stephen Dubner dans Freakonomics. C’est le postulat fondamental de la microéconomie.

Prendre ce postulat comme base, même si les incitations en question sont complexes et même si les intérêts que les individus cherchent à satisfaire sont bien plus riches que l’argent (on peut faire intervenir dans les problèmes d’incitation les gratifications symboliques, les voix de ses électeurs, la culpabilité, la satisfaction de rendre les autres heureux et bien d’autres choses encore), range forcément Tirole dans le camp libéral.

C’est à vrai dire le seul passage du billet d’Arnaud Parienty où je suis en désaccord, mais comme l’erreur qu’il commet me semble importante, je tiens à la pointer du doigt. La devise « les individus répondent aux incitations » est-elle vraiment la marque du libéralisme. Bien sûr, on peut y voir une prise de position philosophique et morale selon selon laquelle l’être humain est fondamentalement guidé par ses intérêts (plutôt que par les idées par exemple). Dans ce cas, effectivement, on peut considérer que ce postulat est constitutif de la doctrine libérale (et encore…). Sauf que…

… sauf que les économistes, dans leurs travaux théoriques et appliqués, notamment dans le cadre de la théorie de l’agence, utilisent ce postulat d’une manière beaucoup plus prosaïque. Pour rappel, l’économie standard est basée sur un postulat méthodologique fondamental :  décrire le comportement d’un individu  comme la maximisation d’une fonction d’utilité. Cela implique que ce comportement révèle (ou bien est guidé par) des préférences qui forment un ordre cohérent, sans nécessairement supposer quoique soit concernant ce qu’il se passe dans la tête de l’individu ou même concernant ses motivations (égoïstes, morales, idéologiques, etc.). La théorie (micro)économique est fondamentalement agnostique sur ce genre de points.

Pourquoi les économistes procèdent-ils ainsi ? La théorie microéconomique est, dans cette perspective, un « problem-solving device« , c’est à dire une boîte à outils pour résoudre des problèmes théoriques ou empiriques bien précis. Il y a de multiples manières de décrire un comportement ; les économistes procèdent ainsi car cette approche a des propriétés formelles (mathématiques) utiles dans le cadre des problèmes que traitent les économistes. Contrairement à ce que suggère Parienty, on peut adopter cette approche sans prendre la moindre position sur la « nature humaine ». Ce qui ne veut pas dire que cette approche est neutre quand aux types de résultats auxquels elle mène (bien entendu). L’idée selon laquelle « les individus répondent aux incitations » n’est alors rien de plus qu’une tautologie et pas une proposition empiriquement falsifiable. Elle est vraie par définition car l’économiste appellera « incitation » tout ce qui peut expliquer le comportement de l’agent.

Pourquoi cette confusion alors ? En fait, les gens comme Levitt et Dubner que Parienty cite ont une grande responsabilité. Les ouvrages semi-académiques/semi-grand public qu’ils ont contribué à populariser ne s’embarassent évidemment pas du genre de subtilité que je viens d’évoquer. Comme Levitt et Dubner ne prennent aucune précaution, « les individus répondent aux incitations » prend vite la forme d’un slogan mi-politique mi-philosophique, surtout que ces auteurs emploient (à mauvais escient) une rhétorique free-market. Dans le cas de Levitt, tout cela est peut être du à un manque de rigueur, même si l’on ne peut complètement exclure le manque d’honnêteté intelletuelle, voire de sophistication méthodologique.

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Colloque « Philosophie économique » à Strasbourg

Je serai demain et vendredi à Strasbourg pour le colloque « Philosophie économique » organisé par le BETA. Le programme, très riche, est disponible ici. J’espère avoir le plaisir d’y retrouver certains lecteurs.

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Naturalisme et philosophie des sciences

Dans son ouvrage Economics: Mathematical Politics or Science of Diminishing Returns?, le philosophe des sciences Alex Rosenberg défend l’idée que les scientifiques, y compris les économistes, doivent nécessairement prendre des positions philosophiques sur l’objectif de leur discipline et sur les règles méthodologiques qu’elle doit mettre en œuvre pour les atteindre. Le raisonnement de Rosenberg est le suivant : toute règle méthodologique, spécifique ou générique, prend la forme d’un impératif hypothétique du type,
Afin d’atteindre l’objectif scientifique x, il faut utiliser la règle méthodologique R. Lire la suite

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Tautologies, infalsifiabilité et trivialité

La lecture de ce (au demeurant intéressant) billet de Kevin Bryan sur l’infalsifiabilité du théorème d’impossibilité d’Arrow me fait me rappeler d’une réflexion que je mettais faite suite à une discussion sur le caractère tautologique d’une proposition défendue dans un de mes papiers. Il me semble que, dans l’esprit de beaucoup de personnes, dire qu’une proposition est « tautologique » est plus ou moins équivalent avec l’idée qu’elle est infalsifiable. Par ailleurs, lorsqu’une proposition est qualifiée de tautologique, c’est le plus souvent dans une perspective critique, avec parfois le sous-entendu que ce qui est tautologique est trivial (i.e. évident) et donc, inintéressant d’un point de vue scientifique. Il faut néanmoins noter que la relation d’équivalence entre tautologies, infalsifiabilité et trivialité n’est pas transitive car je n’ai jamais entendu ou lu que l’infalsifiabilité implique une forme de trivialité ou l’inverse. Lire la suite

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