Autoritarisme, démocratie et croissance économique

C.H.

A lire sur The Economist les réponses de cinq économistes à la question suivante : les gouvernements autoritaires freinent-ils la croissance ? Il ressort deux conclusions fortes qui semblent assez solides : d’une part, il n’y a aucune corrélation significative entre le niveau de croissance économique et le type de régime politique (autoritaire ou démocratique) en place ; d’autre part, on observe en revanche que la variance concernant les performances économiques est significativement plus élevée pour les régimes autoritaires. En effet, on a depuis longtemps observé que les économies couplées à un régime autoritaire, si elles sont capables d’afficher des taux de croissance très élevés, sont aussi très vulnérables et peuvent a contrario se désorganiser très rapidement.

Trois points sont à noter concernant ce problème. Tout d’abord, comme le relèvent plusieurs répondants, les catégories de « régime autoritaire » et de « démocratie » sont pour le moins assez floues. Réduire la démocratie au fait d’organiser des élections n’est par exemple clairement pas satisfaisant. Il faut donc s’appuyer sur un ensemble de critères et, plus que deux catégories séparées, on a problablement davantage un continuum. Il me semble que la distinction entre ordre social fermé et ordre social ouvert, proposée par Douglass North, John Wallis et Barry Weingast est peut être plus intéressante, même si le problème de l’identification empirique précise de ces deux catégories n’est pas simple. Ensuite, et en lien avec cette dernière distinction, le fait que les économies dirigées par un régime autoritaire soient très vulnérables aux chocs ne vient probablement pas du régime politique en lui-même. De la même manière, ce n’est certainement pas la démocratie elle-même qui explique que nos économies soient relativement résilientes. Je pense en fait que cela vient plutôt du fait qu’ouverture politique et ouverture économique vont plus ou moins nécessairement de paire. Un pays politiquement fermé, dominé par un parti unique et dans lequel il n’y a pas d’élection, de liberté d’opinion, etc. est un pays où l’économie est inévitablement verrouillée par des jeux de recherche de rentes. Comme il n’y a pas de concurrence politique, les rentes sont stables ce qui annihile la concurrence économique. C’est l’inverse dans les économies où le pouvoir politique est lui-même soumis à la  concurrence. Ces économies sont dès lors plus ouvertes au processus de destruction créatrice qui leur permet de s’adapter plus rapidement aux chocs exogènes. La combinaison économie de marché concurrentielle/régime autoritaire semble être une forme rare, même si elle existe (Singapour, éventuellement la Chine). L’opposition n’est pas tant entre régime autoritaire et régime démocratique qu’entre économies où il y a une concurrence politique et celles ou il n’y en a pas. La démocratie est une condition nécessaire mais probablement pas suffisante à cela.

Enfin, la distinction que propose Daron Acemoglu entre croissance fondée sur l’innovation et croissance fondée sur l’investissement et l’accumulation de capital me semble très pertinente et colle assez bien avec le point précédent. La croissance fondée sur l’accumulation de capital fonctionne bien dans la phase de rattrapage et est tout à fait compatible avec un régime autoritaire où la concurrence politique est faible. A vrai dire, ça peut même être un avantage car les pouvoirs publics peuvent éventuellement attirer de gros investisseurs en leur assurant certaines rentes. Mais c’est une croissance par nature limitée et, comme l’indique Acemoglu, la croissance fondée sur l’innovation nécessite elle un processus de destruction créatrice.  

4 Commentaires

Classé dans Trouvé ailleurs

4 réponses à “Autoritarisme, démocratie et croissance économique

  1. Gu Si Fang

    Attention de bien préciser le scénario contrefactuel. La Chine a un régime autoritaire, et une forte croissance. OK, mais lorsqu’on parle du régime autoritaire de la Chine, le scénario contrefactuel implicite est une démocratie occidentale ; tandis que lorsqu’on parle de sa forte croissance, le contrefactuel est la Chine communiste.

    En choisissant bien le scénario contrefactuel, on arrive à :
    – la Chine contemporaine est plus libérale que la Chine communiste ET elle a une plus forte croissante ;
    – la Chine contemporaine est plus autoritaire que les démocraties occidentales ET elle est plus pauvre et avec des perspectives de croissance limitées dans le futur.

    Autrement dit, il n’y a pas de miracle du « modèle chinois », pas plus qu’il n’y en avait dans les modèles japonais, européen, etc. Cela correspond tout à fait à la remarque d’Acemoglu, ou à celle de Phelps qui dit la même chose autrement.

  2. elvin

    Avant toute chose, je veux préciser pour un libéral, que la réponse à cette question, quelle qu’elle soit, ne peut en aucune façon justifier un gouvernement autoritaire.

    Ensuite, il me semble qu’il faut distinguer deux phases dans l’innovation : l’invention d’idées nouvelles et leur diffusion sous forme de produits et services.

    La croissance ne peut se faire que par diffusion : une idée nouvelle qui reste dans le laboratoire ne peut pas contribuer à la croissance. Or la diffusion, qui suppose la production, exige une accumulation de capital qui peut être importante, alors que la phase d’invention peut se contenter d’une accumulation de capital modeste.

    Donc dans un pays donné, la croissance peut se faire uniquement par diffusion, tant qu’il y a dans d’autres pays des innovations à copier (cas historique du Japon et plus récemment de la Corée). Mais ce type de croissa

  3. elvin

    (mes excuses pour la fausse manip – je continue mon post)

    Mais ce type de croissance a toutes chances d’être moins vigoureux et moins durable qu’une croissance qui combine invention et diffusion.

    Reste dans les deux cas la question de savoir qui décide d’investir ou non dans tel projet, et comment.

    Enfin, un régime démocratique peut très bien être autoritaire si les dirigeants se réclament du vote majoritaire pour imposer une certaine politique (ce qui est très fréquemment le cas), de même qu’un régime autocratique peut ne pas être autoritaire à condition que ses dirigeants soient suffisamment « éclairés » (au sens des « Lumières »)

  4. MacroPED

    La Chine va se stopper dans quelques années, décennies …a dit récemment, dans une interview, un des spécialistes de la question (politique et croissance), Daron Acemoglu…

    Je regrette que Rodrik ne soit pas de la partie. Mais pour sa réponse on peut visiter http://www.project-syndicate.org/commentary/rodrik46/French

Répondre à Gu Si Fang Annuler la réponse.