« Darwin’s Conjecture »

Geoffrey Hodgson et Thorbjorn Knudsen, auteurs du livre Darwin’s Conjecture: The Search for General Principles of Social and Economic Evolution, ont ouvert un groupe de lecture sur cet ouvrage. Les personnes intéressées peuvent intervenir sur le site pour poser des questions ou développer des commentaires. Comme le sous-titre l’indique, l’objectif de l’ouvrage est d’identifier un ensemble de principes, ou plus exactement de mécanismes, régissant les processus d’évolution au niveau socioéconomique. Hodgson et Knudsen défendent ce qu’ils appellent le darwinisme généralisé (ou universel). Il s’agit d’une conception ontologique selon laquelle les principes darwiniens de la réplication, de la variation et de la sélection seraient communs à l’ensemble des processus d’évolution, que ces derniers portent sur l’évolution génétique, biologique culturelle ou socioéconomique.  Hodgson défend depuis un certain temps l’idée que l’on trouve l’idée du darwinisme généralisé dès les écrits de Thorstein Veblen. J’ai eu l’occasion d’écrire une ou deux choses sur le sujet il y a quelques temps.

A titre personnel, je reste plutôt convaincu par cette idée de darwinisme généralisé. Je pense qu’effectivement, sur un plan ontologique, il y a des mécanismes très généraux régissant l’ensemble des processus d’évolution. Il faut toutefois être attentif aux implications que l’on croit pouvoir tirer de cette thèse métaphysique. Il y a une tendance croissante dans les sciences sociales depuis environ 25 ans à substituer l’évolution (au sens large) à la rationalité,  en partie en raison des impasses logiques et empiriques auxquelles fait face un principe de rationalité trop fort (merci la théorie des jeux !). Le danger bien réel est de passer du tout au rien : de l’agent rationnel et épistémiquement sophistiqué (capable de former des croyances sur des croyances sur des croyances etc.), on est parfois passé à la modélisation d’automates de faible complexité et soumis à une dynamique mimant plus ou moins explicitement la sélection naturelle (cf. la très large utilisation de l’équation de dynamique de réplication dans les modèles évolutionnaires en sciences sociales). Le problème, c’est que cette modélisation s’est souvent faite en faisant fi de toute considération empirique sur la spécificité des mécanismes de transmission au niveau culturel et socioéconomique.

Les travaux (qui n’en restent pas moins intéressants) de Brian Skyrms ou de Peyton Young illustrent à la fois les intérêts et les limites de ce type d’approche : formellement, on obtient des résultats très intéressants, mais on peut fortement douter de leur pertinence pour expliquer la plupart des phénomènes socioéconomiques d’intérêt (comme l’existence de normes d’équité). Robert Sugden a développé ce qui reste à mon sens la critique la plus aboutie sur ce plan. Quoiqu’il en soit, cet ouvrage de Karl Sigmund propose un bon panorama des modèles de jeux évolutionnaires appliqués à l’étude des phénomènes socioéconomiques. De manière plus générale, cela fait un certain que l’évolution sociale est étudiée à l’aune des outils et modèles développés par les biologistes (cet ouvrage est une très bonne introduction à la question), l’approche la plus intéressante étant de mon point de vue celle visant à modéliser la coévolution ente gènes et culture. L’interaction entre l’évolution génétique et l’évolution culturelle est souvent la grande oubliée des modèles de jeux évolutionnaires développés par les économistes.

Enfin, il reste ce qui pour moi est l’un des grands challenges pour les sciences sociales dans les 10 ou 20 prochaines années : intégrer les approches en termes d’évolution et celles en termes de rationalité. Plus spécifiquement, imaginez des agents capables de se coordonner sur la base d’un ensemble  de croyances communes itératives sur les intentions et la rationalité de chacun. Comment ce système de croyances a-t-il pu voir le jour ? Comment l’aptitude cognitive à former de telles croyances a-t-elle pu évoluer ? La formation d’un tel système est-elle nécessaire en théorie ou en pratique pour permettre la coordination ? C’est le genre de questions qui devraient intéresser pas mal de chercheurs dans l’avenir.  

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Une réponse à “« Darwin’s Conjecture »

  1. Titan

    La question qui me taraude sur le principe de darwinisme généralisé,
    est que les travaux « relativement » intéressants de Bryan Skyrms ou Peyton Young prouvent que: 1) Soit, ils ont profité personnellement du mécanisme de darwinisme généralisé pour s’accaparer des questions qui demandent plus de recherches. 2) Soit, on ne peut pas prouver un manque de scientificité ou de tromperie, mais constater que le darwinisme généralisé s’il existe conduit à une évolution qui profite du manque d’informations des autres lié aux critères d’évolution scientifique.
    3) Soit plus réaliste, cela montre les limites internes d’une science évolutionnaire qui ne sait progresser que par évolution, indépendamment de critères éthiques ou de croyances morales, ce qui pour moi remet fortement en doute le principe de darwinisme généralisé à tous les plans (socioéconomique, biologique, éthique), à moins d’accorder un crédit à la thèse dangereuse du relativisme des valeurs, de la supériorité de certaines, et du manque de finalités dans nos buts.

    Pour finalement répondre à vos interrogations: les intentions et la rationalité de chacun sont-ils des critères suffisants pour permettre une meilleure adaptation? A quoi? Pour quelles normes? Dans quels buts?
    Et quel sens donné à l’évolution généralisée ( transmission, adaptation ) quand le sujet construit seul son propre système?

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