Rapport Guesnerie sur les SES : plutôt une agréable surprise

La commision Guesnerie a remis aujourd’hui son rapport sur l’enseignement des Sciences économiques et sociales au ministre de l’Education Nationale. On peut trouver le rapport sur le site des Echos qui, par ailleurs, se fendent d’un article et d’un éditorial sur la question. Comme l’indique Pierre Maura, mieux vaut lire soi-même le rapport tant Les Echos racontent à peu près n’importe quoi. De deux choses l’une, ou bien les journalistes du quotidien ne l’ont pas lu, ou bien ils ont procédé à une lecture sélective en ne retenant que les passages exprimant les idées qu’ils cherchaient. Plus atterrant encore sont les commentaires des internautes sur les articles en question. Honnêtement, quand je lis certains d’entre eux, j’ai vraiment un sentiment de malaise. Plus intéressant est le commentaire rédigé par Philippe Frémeaux sur le site de l’IDIES. On peut également lire une analyse critique du rapport par l’APSES. Toujours via le site de l’APSES, je m’aperçois que l’article de Challenge sur le rapport ne vole guère plus haut que celui des Echos. Si les français ont un problème avec l’économie, cela vient peut être plus de la presse « économique » que de l’enseignement. Enfin bref…

Pour ma part, j’ai essayé de parcourir sérieusement le rapport et, de mon point de vue d’outsider (je n’enseigne pas les SES), je dois avouer être plutôt agréablement surpris. En fait, cela ne devrait pas être le cas, car les membres de la commision (à commencer par Guesnerie lui-même ou Jérôme Gauthié) sont des gens sérieux. Mais avec toutes les fadaises entendues ces derniers temps et prononcées par des idéologues patentés, je craignais le pire. En fait, le rapport me semble équilibré et surtout pointer les vraies questions. Point de délire sur la supposée idéologie marxisante des profs de SES ou sur leur tendance à noircir constamment les faits (sauf à un endroit). Il y a bien des remarques sur la place insuffisante de l’entreprise ou les incohérences sur la manière dont est abordée le marché (il me semble d’ailleurs que ce dernier point peut être discuté), mais finalement c’était prévisible et peut être justifié. Non, la vraie question, celle que souligne le rapport, est celle de l’objectif même de l’enseignement des SES au lycée. De ce point de vue là, une tension très forte, et pourtant souvent ignorée, apparait : les SES doivent-ils former le citoyen ou bien préparer à la poursuite d’études dans le supérieur ? La bonne réponse est certainement : « les deux », mais c’est justement cela qui pose problème. Si l’on opte pour la première option, alors les SES doivent se penser comme une discipline traitant des « problèmes économiques et sociaux contemporains », pour reprendre l’expression du rapport. Dans le cas de la seconde, les SES doivent alors participer à l’acquisition par l’élève d’outils méthodologiques et théoriques pour être mesure, lors de sa « carrière » d’étudiant, de pouvoir se confronter à des analyses plus complexes. En lisant le compte-rendu de l’APSES, on comprend que c’est clairement à ce niveau que les divergences se situent.

Il me semble qu’à l’heure actuelle, comme le souligne le rapport, au moins pour la partie économique (je laisse le soin aux sociologues de formation de porter un jugement sur la partie sociologie) , les SES s’apparentent plutôt à une discipline traitant des problèmes économiques contemporains. En soi, cela n’est pas problématique… si ce n’est que cela ne correspond pas à l’essence d’une discipline devant introduire à l’analyse économique (l’intitulé est bien sciences économiques et sociales). A cela s’ajoute le fait que l’immense majorité des bacheliers ES poursuivront leurs études dans le supérieur… souvent dans des filières « économiques » (prépas, AES, sciences éco, ou encore IUT). Il n’est donc pas infondé de se demander comment faire en sorte pour que la matière prépare mieux les futurs étudiants à ce qu’ils trouveront dans l’enseignement supérieur. A ce titre, ce que propose le rapport, à savoir l’entrée dans l’économie par les concepts fondamentaux (principe de rationalité, coût marginal, coût d’opportunité, etc.) ainsi que des précisions sur ce qu’est une théorie et un modèle me parait une bonne idée. Reste qu’il me parait difficile de présenter à des élèves de seconde de tels concepts de manière « désincarnée », en dehors de tout cas concret. L’idée de mobiliser de petits raisonnements de théorie des jeux est également bonne (un truc comme le modèle de Schelling doit facilement être compréhensible par des élèves de terminale)… mais je pense que certains profs de SES le font déjà. Par ailleurs, il me semble tout à fait possible d’initier les élèves aux mécanismes économiques de base (par exemple, effet de substitution et effet de revenu, notion d’équilibre offre/demande, etc.) à partir d’une série de graphique, sans avoir à utiliser la moindre équation. Dernier point indiqué par le rapport qui me parait fondamental, et qui semble faire consensus : la nécessité de resserrer les thèmes abordés, quitte à couvrir moins de terrain.

Reste le problème de l’articulation entre l’approche économique et l’approche sociologique. Le rapport est pour le moins sévère avec la partie sociologique (approche « compassionnelle », « déterministe », « critique »), pas toujours à juste titre à mon humble avis. C’est là une grosse difficulté : comme l’indique le rapport, la sociologie et l’économie sont deux champs académiques bien distincts et, hormis quelques travaux de « sociologie économique », les vrais croisements scientifiques sont plutôt rares. Recommander, comme le fait le rapport, de limiter les approches croisées à quelques objets spécifiques (l’entreprise, la consommation) parait sensé, mais c’est alors le projet fondateur même des SES qui me semble remis en cause. A ce niveau là, c’est à une révolution culturelle et épistémologique qu’il faut procéder… à moins que dans les faits la césure ne soit déjà effective. Un dernier mot enfin sur le cours de spécialité : là encore, le rapport me semble assez sévère dans sa critique. Pourtant, l’enseignement de spécialité pourrait s’avérer relativement complémentaire avec celui du « tronc commun » : tandis que ce dernier aurait une dimension essentiellement analytique et thématique, le premier pourrait apporter une approche par l’histoire de la pensée qui, si elle est clairement insuffisante seule (et c’est un praticien de l’HPE qui le dit), est en revanche une excellente manière de mettre en perspective les grands débats académiques.

1 commentaire

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Une réponse à “Rapport Guesnerie sur les SES : plutôt une agréable surprise

  1. flofac

    de bonnes études d’éco peuvent se suivre sans avoir suivi les SES au lycée, toutefois des difficultés en HPE sont à prévoir au début…
    Précisons quand même que l’histoire de la pensée et plus largement la découverte des pensées économiques permettent de comprendre aussi bien l’environnement économique (former le citoyen) que de comprendre par la suite des modèles plus complexes ainsi que des notions telles que la maximiastion ou la rationalité limitée, mais également de comprendre le contexte institutionnel dans lequel évoluent les entreprises, contexte qui guide leurs prises de décisions.
    Le lien entre éco et socio pourrait etre fait par l’épistémo ; mais selon moi ces deux disciplines sont étroitement liées (à moins de résumer l’éco à des robisonnades) et sont complémentaires ; si bien que la question pourrait être : ne doit on pas renforcer l’apprentissage de la socio dans les études supérieures ?

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