Je rejoins à 110 % les critiques et l’argumentaire de Denis Colombi à l’encontre du « rapport » de l’association Jeunesse et Entreprise. Je ne reprendrai pas ce que dit Denis, et je ne reviendrai que sur un seul point. Page 2 du rapport, on trouve l’énormité suivante : « Il serait indispensable que les programmes aient une approche plus scientifique et factuelle, et beaucoup moins théorique« . Honnêtement, une fois que l’on a lu ça, on peut arrêter de parcourir le rapport, tant une telle phrase dénote soit une incompétence intellectuelle et/ou un manque d’honnêteté. Mais finalement, une telle affirmation est bien en phase avec ce qu’a pu raconter N. Sarkozy au sujet des économistes et de leurs théories.
Au risque de passer pour l’épistémologue de service, je lui rappellerai une notion épistémologique de base : celle de dépendance des faits à la théorie, ou theory ladenness, mise en avant par Thomas Kuhn et W.O. Quine. Les « faits », ça n’existe pas : leur perception est toujours conditionnée par les schèmes théoriques que l’on adopte. D’ailleurs, on sait cela depuis Kant. La théorie est par conséquent l’essence même de la démarche scientifique, qui consiste justement à aller au-delà des apparences. Mais Gattaz et ses collègues ne sont pas stupides. Derrière cette rhétorique, il y a un message à comprendre : l’enseignement de l’économie au lycée doit interpréter les faits, mais d’une certaine manière, dans une perspective « bisounours » comme dit Denis Colombi.
Jeunesse et Entreprise, ou quand l’idéologie patronale s’allie avec l’argumentation café du commerce. Un cocktail détonnant… et imbuvable.
« inutile de réinventer le fil à couper le beurre. Toutes ces théories économiques… moi-même, parfois je suis un peu perdu. Ce que je veux c’est que les choses marchent »
Messieurs,
Vous êtes dans la bonne voie. Vous repoussez les théories abstraites; […]
Nous venons vous offrir une admirable occasion d’appliquer votre… comment dirons-nous? votre théorie? non, rien n’est plus trompeur que la théorie; votre doctrine? votre système? votre principe? mais vous n’aimez pas les doctrines, vous avez horreur des systèmes, et, quant aux principes, vous déclarez qu’il n’y en a pas en économie sociale; nous dirons donc votre pratique, votre pratique sans théorie et sans principe. […]
F.Bastiat
Bonjour C.
A mon humble avis il est toujours dangereux de vouloir enfermer les esprits et les réflexions dans une « pseudo réalité factuelle ». Cela peut très rapidement conduire à des absurdités comme faire une opposition entre théorie et démarche scientifique.
Prendre un peu de hauteur grâce aux théories, qu’elles appartiennent au domaine de l’économie ou de la gestion ferait sans nul doute beaucoup de bien à bon nombre de petites entreprises
Pour parler de « la réalité et des faits » n’oublions pas que la structure de notre économie actuelle repose sur l’activité des TPE et des PME. Les dirigeants et/ou responsables de ces structures ont souvent la tête dans le guidon, l’enseignement des SES dès le lycée doit permettre de voir un peu plus loin et surtout de mieux appréhender les évolutions à venir.
J’apprends que certains veulent redonner de « l’espoir et de l’optimisme » aux jeunes en sclérosant leur apprentissage des SES à l’observation de « faits », mais j’espère que les plus désespérés et les plus pessimistes d’entre eux ont encore la force de garder leur esprit critique. Il est de plus en plus souvent le dernier rempart préservant leur liberté.
S.F.
Merci pour la référence !
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