Imaginez un ensemble de personnes placé sous voile d’ignorance devant s’accorder sur la définition des institutions organisant la société dans laquelle elles vont vivre. Les personnes ne connaissent ni leur future position sociale dans cette société, ni même leur « personnalité » (par exemple, leurs préférences). Les institutions devant être définies concernent tous les aspects de la vie socioéconomique, en particulier la fiscalité et les modalités de redistribution de la richesse. Maintenant, faisons une expérience de pensée et posons-nous la question suivante : peut-on imaginer un critère de décision derrière un voile d’ignorance (le maximin rawlsien débouchant sur le principe de différence, le critère bayesien et l’utilitarisme de règle à la Harsanyi, etc.) qui conduirait à ce que les artistes et les sportifs bénéficient « d’exceptions fiscales », comme par exemple ne pas être soumis à la taxation des revenus très élevés pourtant mis en place sous ce même voile d’ignorance ? Intuitivement, je dirais non (mais je ne demande qu’à être démenti).
Entendons-nous bien, je n’affirme pas que la « taxe Hollande » était une bonne idée économiquement parlant. C’est plutôt une réforme en profondeur de l’ensemble de la fiscalité qui est probablement nécessaire. Par ailleurs, même si l’on peut questionner la pertinence d’un raisonnement sur la justice par le biais du concept de voile d’ignorance, j’aurais tendance à être d’accord avec Ken Binmore pour dire qu’il s’agit d’un outil de réflexion qui permet de révéler nos conceptions profondes de la justice parce qu’il reflète finalement les conditions de vie incertaines de nos ancêtres. Peut-être que la mise en place d’une tranche d’imposition à 75% est une mauvaise idée, mais ce qui l’est encore plus c’est de maintenir cette mesure tout en instaurant des exonérations qui me semble défier le sens commun de la justice, et ceci pour de purs motifs de marchandage politique…
L’expérience de la pensée de réfléchir à des règles de droit est utile. C’est une recherche d’un éventuel principe fondateur du Droit. La condamnation du vol et de l’agression sont de bons candidats pour être un fondement du Droit. La redistribution des pauvres vers les riches est trop flou dans sa définition pour constituer un principe de Droit.
Les libertariens ont un vision simple de la Justice et du Droit. Ils la fondent principalement sur le droit de propriété. Même si ce choix est arbitraire, il permet une grande cohérence intellectuelle. En effet, le vol et l’agression d’autrui sont alors contraires au Droit libertarien. L’impôt est une appropriation par l’État non consentie par le propriétaire du bien. Donc, pour un libertarien, l’impôt est donc du vol.
Le libertarien minarchiste pense que l’État est nécessaire. Il admet donc que, par exception, l’État puisse voler afin d’exécuter certaines fonctions de souveraineté. L’État invente donc des impôts dont le montant est limité à l’exécution des taches régaliennes.
Dans un tel système juridique libertarien fondé sur le droit de propriété, le concept de « Justice sociale » ne peut pas exister. Il n’a même aucun sens. Comment réfuter ce concept simple fondé sur l’interdiction du vol? Comment justifier la taxation des revenus plus élevés?
La jalousie et l’envie des uns envers les autres serait-ils une composante de la nature humaine si forte? La loi, le Droit, la Justice doivent-ils donner une telle importance à ces défauts de caractères? Ces défauts peuvent-ils valablement légitimer une grande partie des impôts?
Plus fondamentalement, l’État doit-il obéir au Droit? Ou bien l’État peut-il, dans cette expérience de la pensée, légitimer la violation du droit commun? La redistribution des richesses des riches vers les pauvres serait-elle une fonction de l’État?
Le libertarien a répondu. Toute conception de la « Justice sociale » devra donc préalablement réfuter la conception libertarienne de la Justice.
Si le libertarien manarchiste pense que l’Etat vole ses concitoyens par l’impôt, il doit alors ne plus penser au principe juridique énoncant que l’impôt est juste, libératoire, et obligatoire.
De plus, si le libertarien pense que les défauts de caractères ne sont rien, il doit alors ne plus penser que c’est pour la protection de la dite propriété individuelle que le droit restreint l’attitude révolutionnaire de certains.
Enfin, si le libertarien pense que l’Etat, fonction suprème de l’autorité d’une nation, ne doit pas obéir au droit pour le motif de redistribution des richesses, il doit aussi oublier que les fonctions régaliennes de l’Etat ne sont pas fixées par constitutionnalité qui elle garantit la démocratie, mais pas simple décision politique.
En conclusion, tous les libertariens ont une vision de l’Etat précise et instructrice. En faire du n’importe quoi n’implique en aucune facon de les utiliser pour mettre en avant votre pensée funeste,