C.H.
Très long mais extrêmement intéressant article de Joseh Stiglitz sur la macroéconomie, ses enseignements et ses limites dans le contexte économique actuel. Voici l’abstract (via Etienne Wasmer) :
The standard macroeconomic models have failed, by all the most important tests of scientific theory. They did not predict that the financial crisis would happen; and when it did, they understated its effects. Monetary authorities allowed bubbles to grow and focused on keeping inflation low, partly because the standard models suggested that low inflation was necessary and almost sufficient for efficiency and growth. After the crisis broke, policymakers relying on the models floundered. Notwithstanding the diversity of macroeconomics, the sum of these failures points to the need for a fundamental re-examination of the models—and a reassertion of the lessons of modern general equilibrium theory that were seemingly forgotten in the years leading up to the crisis. This paper first describes the failures of the standard models in broad terms, and then develops the economics of deep downturns, and shows that such downturns are endogenous. Further, the paper argues that there have been systemic changes to the structure of the economy that made the economy more vulnerable to crisis, contrary to what the standard models argued. Finally, the paper contrasts the policy implications of our framework with those of the standard models.
Merci à Cyril de signaler cet article, et merci à Stiglitz d’avoir écrit cette démolition systématique de la macroéconomie contemporaine. Quand je dis les mêmes choses, en moins bien et en moins complet, on me traite d’ignorant. Au moins j’espère que personne ne va accuser Stiglitz de ne pas comprendre ce qu’est un modèle, ni lui conseiller de lire la littérature économique contemporaine…
Ce qui me frappe le plus, c’est que toutes les critiques méthodologiques de Stiglitz au(x) modèle(s) macroéconomique(s) standard sonnent furieusement « autrichien ». De même, les effets dont il dit qu’ils sont fondamentaux et que la théorie les élimine par construction sont précisément ceux que les autrichiens mettent en avant. Il en est de même pour son début d’explication des cycles pp 608-610.
Mais curieusement, tout en présentant en long et en large des thèses qui sont celles de la tradition autrichienne, il ne fait aucune allusion aux auteurs de cette tradition (ce qui serait évidemment trop attendre d’un keynésien convaincu). C’est frustrant pour les autrichiens comme moi, mais ça vaut peut-être mieux :
leurs thèses feront leur chemin plus sûrement sous la plume d’un Stiglitz qui les ignore (ou fait semblant) que sous leur propre plume ou celle d’auteurs qui s’en réclameraient explicitement. C’est triste à dire mais c’est comme ça, tant les préjugés sont puissants.
Quand on lit page 605: « the Ptolemaic approach of attempting to refine a fundamentally flawed model is not, I think, the most promising approach for helping us to understand these issues », on s’attend à ce que l’auteur conclue que toute la macro contemporaine est à mettre à la poubelle, et qu’il faut repartir sur d’autres bases. Ben pas du tout. Dans sa conclusion, il pense qu’on peut construire une nouvelle macroéconomie en collant ensemble les rustines qu’on a mises sur l’actuelle, alors qu’il avait dit au contraire page 593 : « Some advocates of that model recognize its limitations, arguing that it is, however, just the beginning of a research strategy that will, over time, bring in more and more of the relevant complexities of the world. Anything left out—agency problems, financial constraints, and so forth—will eventually be incorporated. I will argue, to the contrary, that that model is not a good starting point. Such Ptolemaic exercises in economics will be no more successful than they were in astronomy in dealing with the facts of the Copernican revolution. »
Ça fair rien, on avance…
Je ne dirais pas que Stiglitz a des côtés autrichiens, quand même 😉 Mais il est vrai qu’il cherche à expliquer les « grosses crises », ou bulles, c’est-à-dire les « clusters of errors » de la théorie autrichienne du cycle, et non les petites fluctuations de marché.
Sa critique vise les hypothèses telles que l’EMH, les anticipations rationnelles, etc. Autrement dit – et il a raison – il critique les hypothèses néoclassiques qui consistent à supposer que les agents ne font JAMAIS d’erreurs (sauf en cas d’innovation technologique, encore une incohérence de la RBC, passons…).
Mais il adopte une position similaire qui consiste à dire : les agents font TOUJOURS, systématiquement, certaines erreurs. L’information est asymétrique, les anticipations sont mimétiques, etc. Avec de telles hypothèses, l’erreur systématique est « built-in » dans le modèle et on produit de belles bulles. SI les agents font des erreurs ET SI ils ne les corrigent pas, ALORS il y a des vagues d’erreurs collectives. CQFD. Fastoche !
Par ailleurs, son article ne parle que de la RBC, sans doute parce que c’était la théorie à la mode des dernières années (?). Mais les innovations ne sont quand même pas le seul facteur « exogène » ! Quid des autres explications des vagues d’erreurs ? Pas un mot sur la politique et les institutions monétaires, si ce n’est pour dire que les banques centrales « ciblaient une inflation basse » (sic) ces dernière années. Il y a de quoi s’étrangler…
Oh, mais je ne prétends pas récupérer Stiglitz, ni qu’il a fait un « coming out » !
Mais je maintiens que si on reprend ses objections méthodologiques, ainsi que la liste des faits qu’ils considère comme essentiels alors que la « conventional wisdom » les évacue a priori, il ne faut pas chercher beaucoup pour trouver tout ça chez Mises, Hayek ou Kirzner, ni d’ailleurs pour trouver des déclarations d’économistes « mainstream » disant que tout ça est idiot .
En revanche, quand il passe aux préconisations ou à ce qu’on en devine, on retrouve le keynésien étatiste pur et dur, et là bien sûr il se situe à l’opposé des thèses autrichiennes.
Donc OK, y’a encore du progrès à faire…