Avez-vous le raisonnement d’un économiste ?

C.H.

C’est la rentrée dans mon IUT. Pour fêter cela, voici un petit test pour voir si oui ou non vous avez le raisonnement d’un économiste :

Un(e) ami(e) vous offre un billet pour aller voir avec lui/elle un concert de Serj Tankian au Bataclan. Bien entendu, si vous acceptez ce billet, vous ne pouvez pas vous permettre de le revendre. Vous apprenez que le même soir Guns N’ Roses joue au palais omnisport de Bercy, allez les voir est votre deuxième choix. Un billet pour le concert de Guns N’ Roses coûte 60 euros (!!), mais normalement votre disposition à payer serait de 80 euros. On fait l’hypothèse qu’il n’y a pas d’autres coûts pour aller voir ces deux concerts. Question : à partir de ces informations, déterminez le coût d’opportunité lié au fait d’allez voir Serj Tankian avec votre ami(e).

Réponses possibles : A) 0 euro    B) 20 euros    C) 60 euros     D) 80 euros

Je reviendrai donner la réponse ce soir.

Réponse et quelques précisions :

Merci et bravo à tous les participants, et notamment à ceux qui ont su trouver la bonne réponse bien que, comme on va le voir, ce n’était pas si évident que ça. Vous êtes plusieurs à avoir vu que ma question était en fait une version très légèrement modifiée de celle posée dans le manuel d’économie de Ben Bernanke et Robert Frank. Pour trouver la bonne réponse, il fallait avoir deux concepts en tête : celui de coût d’opportunité et celui de surplus du consommateur. Le surplus du consommateur est tout simplement la différence entre ce qu’un consommateur est prêt à payer pour un bien et le prix qu’il paye effectivement. Ici, on peut connaître le surplus du consommateur s’il va au concert de Gun N’ Roses : 80 – 60 = 20 euros. En revanche, on ne connait pas le surplus du consommateur pour le concert de Serj Tankian mais on n’a pas besoin de cette information pour répondre à la question puisqu’il est dit qu’il s’agit du choix préféré du consommateur. Or, le coût d’opportunité d’un choix ou d’une activité désigne la valeur de la meilleure option à laquelle on renonce dans le cas où l’on fait ce choix. Ici, la seule alternative est d’aller au concert de GNR. Par conséquent, en choisissant d’aller voir Serj Tankian, vous renoncez à aller voir le concert de GNR, lequel vous aurez apporté un surplus de 20 euros. Conclusion : allez voir Serj Tankian a certes un coût direct nul mais a un coût d’opportunité de 20 euros.

La notion de coût d’opportunité est absolument fondamentale en économie et elle figure en bonne place dans tout manuel digne de ce nom. A ce titre, on peut s’attendre à ce que toute personne qui ait quelques connaissances en économie trouve la bonne réponse à ce genre de question. Pourtant, si vous avez donné une mauvaise réponse, rassurez-vous c’est normal. Les économistes Paul Ferraro et Laura Taylor ont soumis cette question à 200 économistes lors d’un colloque. Résultat : seul un peu plus de 20% a donné la bonné réponse. Autrement dit, si vous aviez demandé à Paul le Poulpe de choisir une réponse parmi les quatre proposées, celui-ci aurait plus de chance de donner la bonne réponse qu’un économiste ! Les auteurs de cette étude en ont tiré la conclusion qu’il serait nécessaire d’apporter une plus grande attention aux concepts et mécanismes de base dans le cadre de l’enseignement économique. Mais est-ce vraiment la bonne explication ?

Howard Margolis propose une autre interprétation dans ce papier qui m’a inspiré ce billet (via Marginal Revolution).  D’après Margolis, le fait de donner une mauvaise réponse à la question ci-dessus ne découle pas d’une méconnaissance de concepts fondamentaux mais tout simplement du fait que tous les individus, y compris les économistes, sont victimes d’illusions cognitives. Ici, cette illusion découle du fait que la question posée nous amène à mener un raisonnement dans un contexte hautement artificiel qui ne nous est pas familier. Dans ce cas, notre raisonnement est faussé car il s’appuie sur des routines inadaptées. Il faut notamment remarquer que dans l’expérience de Ferraro et Taylor, la bonne réponse est celle qui a obtenu le moins de suffrage (les trois autres étant choisies de manière à peu près égale) et que des 4 valeurs proposées comme réponse, seule la bonne n’est pas mentionnée dans l’énoncé, ce qui peu expliquer pourquoi elle est la moins choisie. Pour reformuler les choses, les économistes ont l’habitude de réfléchir à partir de la notion de coût d’opportunité, mais ils le font généralement dans un autre cadre, notamment relatif à l’arbitrage entre travail et loisir. De la même manière, l’articulation entre coût d’opportunité et surplus du consommateur est logique, mais dans ce contexte n’a rien de naturel. Comme le fait remarquer Margolis, notre cerveau n’a tout simplement pas besoin d’être en permanence attentif aux coûts d’opportunité de chacun de nos choix quotidiens. 

A mon sens, l’interprétation de Margolis est largement correcte et relativise, par extension, certains résultats obtenus par les méthodes expérimentales, lesquelles soumettent également les individus à des environnements totalement inhabituels pouvant fausser leur raisonnement. Bon sinon, pour l’anecdote, il y a bien eu un concert de Serj Tankian au Bataclan lundi dernier et j’y étais ! Et, fort heureusement, le concert de GNR à Bercy n’avait pas lieu en même temps puisqu’il est prévu pour le 13 septembre. J’y serai aussi (et je confirme que les places coûtent 60 euros !). 

23 Commentaires

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23 réponses à “Avez-vous le raisonnement d’un économiste ?

  1. Satyan

    C.H,

    Je vais justifier mon choix pour mieux comprendre ma probable irrationalité.

    Tout d’abord, si mon amie m’offre une place de concert et que mon second choix m’oblige à payer en plus d’être sans mon amie. Je choisi alors un coût d’opportunité de changer mon premier choix de 0 €

    D’un point de vue purement monétaire : je ne paie pas ma place pour un spectacle que j’aime.

    D’un point de vue « externalité », je veux être avec cette personne car c’est mon amie. Cela est difficilement évaluable. En sus, c’est un cadeau, nous n’en connaissons pas la raison (anniversaire, place en trop?), alors devons-nous le refuser?

  2. Jean-Paul Tsasa Vangu

    la notion de coût d’opportunité est lié à ce les économistes appelent aussi SURPLUS ou RENTE, un concept développé par Jules DUpuit et validé quelque temps après par Alfred Marshall.

    Dans ce cas, le coût d’opportunité sera égal à : 80 euros.

    En effet:
    * le premier choix coûte 0 euros (1ère assertion)
    * le Deuxième choix coûte 60 euros (2ème assertion)
    * le montant maximum, que l’individu est prêt à payer est de 80 euros.

    c’est donc clair, que choisir la 1ère assertion lui procure un surplus (surplus de consommateur) de 80.

    Géométriquement, lorsque l’on a une fonction de demande indirecte, le surplus est obtenu en appliquant l’intégrale de Riemann, avec comme borne inférieur 0 et borne supérieure la quantité achetée, et l’on déduit le produit prix payé-quantité achetée.

    la demarche change en cas d’une fonction de demande directe. [Jean-paul TSASA]

  3. Jean-Paul Tsasa Vangu

    dear SATYAN, j’appréhende parfaitement ton irrationailté, tu es vraiment une bonne exception au modèle orthodoxe néoclassique d’Homo oeconomicus!

  4. Satyan

    Ta réponse est fausse malgré tout tes fireworks, anyway.

  5. En l’absence de l’amie, le concert des Gun & Roses rapporterait 20€ (la différence entre prix réel et prix psychologique).

    Je suppose donc que le coût d’opportunité d’aller voir le concert avec l’amie ne prend en compte que cela, et pas par exemple les autres coûts d’opportunité du même soir (ce qu’il y a au ciné, au théâtre, un raid à World of Warcraft…)

    Par contre, on a aucune information à combien est évalué le concert de Serj Tankian ou la soirée avec l’amie.

  6. Henri Tournyol du Clos

    Oui, enfin la bonne réponse, c’est que si vous êtes un économiste, vous répondez n’importe quoi [Ferraro & Taylor, 2005]. Le tout, c’est de savoir si ce résultat s’applique à d’autres notions que le coût d’opportunité…

  7. Surplus du consommateur si j’étais allé voir G&R en payant 60€: 20€. En allant voir serj tankian je ne profite pas de ces 20€ de surplus.
    Pour pouvoir vraiment répondre a la question il faudrait connaître le surplus généré en allant voir takian gratuitement, et le soustraire du surplus abandonné en n’allant pas voir G&R. En assumant que le surplus generé par le concert de takian est de 0€, le coût d’opportunité est de 20€.

    J’imagine que ce n’est pas une coïncidence que vous posiez cette question maintenant mais si ça l’est, regardez le 2eme lien sur marginal révolution: http://www.marginalrevolution.com/marginalrevolution/2010/09/assorted-links.html

  8. Jean-Paul Tsasa Vangu

    analyse ex ante et analyse ex post : what’s the matter?

  9. jof

    il faut laisser de côté l’aspect éthique.
    Si on considère que le coût d’opportunité mesure les bienfaits de ce que à quoi je renonce, ici il est équivalent à 60 euros en raison de l’économie réalisée par le fait de ne pas avoir dépensé mes deniers.

  10. arcop

    20 (80-60) : l’équivalent monétaire de la différence de satisfaction entre le fait d’aller au concert et celui de payer pour y aller.

    Mais j’aime pas trop cet exemple, parce qu’il mêle des coûts objectifs à des valeurs subjectives. Je suis pas sûr que même pour un économiste ça veuille dire grand chose que je suis prêt à payer 80 euros et pas plus pour aller voir tel ou tel concert…

    Et par ailleurs la réponse correcte en général est parmi les nombres qui n’apparaissent pas dans l’énoncé.

  11. Moggio

    Cela ressemble en effet beaucoup à la question du manuel introductif de Frank et Bernanke (avec Éric Clapton et Bob Dylan plutôt que le musicien américain et le groupe de hard rock américain) qui a été reprise par P. J. Ferraro et L. O. Taylor sur, selon eux, la « dismal performance » de la « dismal science ».

    Réponse : 20 euros.

  12. Kant1

    Le coût d’opportunité d’une activité est la valeur de la meilleure
    option à laquelle il faudrait renoncer pour exercer l’activité en
    question.

    Réponse: 20 €.

  13. Jean-Paul Tsasa Vangu

    coût d’opportonuté = 80 euros

    I certify the truth of the above, 80 euros.

  14. Satyan

    80 = ce que tu es prêt à payer au maximum
    60 = le prix du bien

    Surplus = 80 – 60 = 20

    « Finger in the nose »

  15. Jean-Paul Tsasa Vangu

    The difference between stupidity and genius is that genius has its limits.[Albert Einstein]

    The problem is to know the level and scale of magnitude for each case.

    A = le d’allez voir Serj Tankian avec votre ami(e) : 0 euro

    B = montant prêt à payé : 80 euros

    coût d’opportunité lié au fait = B – A

    Or B – A = ? What’s the answer.

    hum!

    • jefrey

      Je pense que vous avez mal compris. Le prix de réservation de 80 euros n’est que pour le concert de Guns N’ Roses. En gros, l’idée est de trouver à combien je dois valoriser au minimum le concert de Serj Tankian pour y assister. En l’occurence, 20 euros, car en dessous j’irais voir Guns N’Roses qui procure un surplus supérieur.

  16. Gu Si Fang

    Hello et bonne rentrée !

    Je dirais que le coût d’opportunité d’une action (a) est la valeur du meilleur usage que j’aurais pu faire de mes ressources si je n’avais pas choisi l’action (a).

    Le choix est entre avoir, à l’issue de la soirée :
    (a) un concert Tankian + 60€, ou bien
    (b) un concert G&R

    Puisqu’il n’y a que deux choix, le coût d’opportunité de (a) est (b), et le coût d’opportunité de (b) serait (a) si je faisais l’autre choix.

    Le coût d’opportunité du concert de Tankian est donc le concert de G&R. Les 80€ et les 20€ de « surplus » sont une construction de l’esprit.

  17. Rominet

    Il me semble que ce problème fait aussi appel aux préférences des consommateurs : on ne sait pas si un concert de Tankian avec son ami a la même utilité subjective qu’un concert des Guns tout seul…

    Si on va au concert de Tankian on perd le surplus qu’on aurait dégagé en allant voir les Guns (les 20 € de différence), mais si on aime vraiment bien Tankian la perte sera peut-être surcompensée…

  18. Moggio

    Merci pour votre réponse et ses précisions.

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