Note de lecture : « Identity Economics » de George Akerlof et Rachel Kranton

C.H.

Comme annoncé, voici une note de lecture sur le récent ouvrage de George Akerlof et Rachel Kranton, Identity Economics. Cette note de lecture doit me servir de base pour élaborer une réflexion un peu plus dense sur les difficiles relations entre l’économie et les autres sciences sociales. La note étant très longue (près de 10 pages), je la met directement en format PDF, ce qui rendra la lecture plus confortable.

Note de lecture Identity Economics

18 Commentaires

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18 réponses à “Note de lecture : « Identity Economics » de George Akerlof et Rachel Kranton

  1. citoyen

    J’aime beaucoup votre conclusion sur sur Davis et Mirowski. Je crois que je vous l’ai deja conseille, mais je pense que vous aimerez beaucoup le livre de Don Ross « Economic theory and cognitive science » qui aborde systematiquement ce sujet en reprenant les idees de Davis et Mirowski. Regardez ce papier par exemple http://www.uab.edu/philosophy/faculty/ross/um_handbook_agency.pdf

  2. Thomas

    Merci pour cette note de lecture, notamment la partie méthodologique que vous nous aviez promis il y a quelques jours.

    Une phrase m’a particulièrement interpellé :
    « Tout d’abord, il faut bien comprendre qu’une fonction d’utilité ne vise pas à expliquer mais à décrire un comportement »
    Vu que je ne lirais probablement jamais le livre de Gintis, serait-il possible que vous explicitiez un peu cette phrase (à moins que ça n’ait été déjà fait dans un autre billet) ?

    • citoyen

      J’ai une explication possible, mais je ne sais pas si c’est celle de CH;

      Quand vous construisez une fonction d’utilite pour expliquer quelque chose, ce que vous essayez toujours de faire de rationaliser un comportement que vous observez. L' »utilite » n’est rien d’autre qu’un abrege d’un ensemble de preferences qui, dans l’approche de la preference revelee ( http://www.lorem-ipsum.es/blogs/laleydelagravedad/2009/12/samuelson-the-foundations-of-economics-and-the-price-of-everything.html ), ne sont rien d’autre qu’une « configuration » (pattern) de comportement avec certaines caracteristiques (consistance, etc…). Ceci explique que vous pouviez attribuer des preferences a des choses non humaines (des animaux, par exemple) pour decrire leur comportement. Mais, en gros, vous ne dites rien sur ce qui se passe dans la tete des gens, le terme « utilite » n’a pas une contrepartie claire au niveau psychologique ou neurologique; donc vous n’expliquer pas le comportement, vous le decrivez.

      Ce que votre explication/modele dit, donc, « vu ce comportement parfaitement decrit par la fonction d’utilite, nous observons qu’en bougeant les parametres tel et tel nous obtenons ce resultat X, cdfd ». Le probleme c’est que, comme le dit CH dans sa conclusion (ou comme vous pouvez le lire dans le papier que je cite) les fonctions d’utilite ne decrivent pas parfaitement le comportement de rien de du tout; elles decrivent le comportement qui serait propre a un automate, pas a un individu complexe et chaotique. Il faut alors se contenter par une approximation.

  3. MacroPED

    J’y vois là déjà le prochain papier…

    Un bloggueur très productif,…merci de ce papier. Je le garde jalousement comme si c’est le livre en questiona, avec un peu plus. Comment le citer si jamais l’envie nous y prenait?

  4. MacroPED

    Pourquoi les dimensions évoquées déjà dans le blog (genre implication macroéconomique) ne sont pas mentionnées dans cette note???

  5. C.H.

    @citoyen :
    J’ai commandé le bouquin hier, il me parait effectivement être utile.

    @MacroPED :
    Les implications macro ne sont pas abordées car il n’en est pas question dans l’ouvrage d’A&K et que la note est déjà très longue. Si vous voulez la citer, pas de problème mais avertissait moi.

    @ Thomas :
    L’explication que fournie Citoyen est intéressante et j’aurais presque tendance à être d’accord avec mais ce n’est pas celle que donne Gintis. Au contraire, Gintis prétend que les recherches actuelles en neuroscience confortent la théorie de l’utilité espérée. D’après Gintis, une fonction d’utilité n’est qu’une expression analytique qui exploite la propriété de transitivité des préférences pour décrire ce qui se passe pour une valeur donnée d’un ensemble de paramètres. Avec une fonction d’utilité, vous n’expliquez pas pourquoi tel individu à fait ce choix dans la mesure où cela serait une quasi-tautologie.

    D’après moi, pour expliquer un comportement, il faut expliquer d’où vient la fonction d’utilité c’est à dire pourquoi les arguments contenus dans la fonction sont ceux-là et pas d’autres. De plus, si vous voulez expliquer un « résultat social », il va falloir s’intéresser aux interdépendances entre les individus ; à ce moment là, vous avez par exemple besoin des divers concepts d’équilibre de la théorie des jeux. Enfin, je terminerai en notant que dans sa version « préférences révélées », la théorie du choix rationnel a je pense d’emblée été interprété comme un moyen de décrire a posteriori un comportement observé, pas de l’expliquer.

    Bref, une fonction d’utilité c’est une représentation mathématique des choix faits par un individu, pas une explication de ces choix au sens causal du terme.

  6. elvin

    Excellente note de lecture (mais avec Cyril on est habitué…). Seul problème : on a l’impression qu’on sait tout et qu’on n’a plus besoin de lire le livre. Mais après tout, c’est un des intérêts de la chose.

    Quelques remarques sur le sujet qui m’est cher des relations entre l’économie et les autres sciences, à la fois quant aux méthodes utilisées et quant à l’utilisation croisées des résultats substantiels.

    Il y a deux façons (au moins) d’approcher l’empirie : aller observer sur le tas les mécanismes internes de ce qu’on considère comme des « boîtes noires » ou observer de l’extérieur leur comportement global. Comme Cyril je pense que les deux sont utiles et complémentaires, et je déplore que trop d’économistes se croient dispensés de la première approche.

    OK sur la distinction entre représentation et explication, qui est fondamentale.

    Que l’économiste « s’arrête à la frontière d’une problématique essentielle en sociologie » ne me choque pas, bien au contraire. Chacun son boulot, à condition que chacun sache utiliser le boulot des autres quand il en a besoin. Bravo à Akerlof pour montrer l’exemple, même si perso je doute de l’utilité des fonctions … d’utilité telles que les conçoit le mainstream, et donc de l’intérêt qu’il y a à les enrichir. Mais ya pas de mal à essayer.

    Il y a quand même un point à propos duquel je reste sur ma faim (Cyril m’avait mis en appétit au début de sa note) : pourquoi A&K n’utilisent-ils pas la formalisation mathématique dans leur ouvrage, et pourquoi Cyril juge-t-il utile de les trahir en quelque sorte en réintroduisant la formalisation dans sa note ?

  7. elvin

    Et (je reviens sur un vieux débat), Akerlof est-il « orthodoxe » ou « hétérodoxe » ?
    Et ses apports montrent-ils que le programme de recherche « orthodoxe » est « progressif » au sens de Lakatos ? Ou le contraire ?

  8. Citoyen

    « pourquoi A&K n’utilisent-ils pas la formalisation mathématique dans leur ouvrage, »

    J’imagine que c’est parce que c’est un ouvrage de vulgarisation et qu’ils essaient d’approcher un public plus large. Les maths, c’est un passeport pour que les sociologues, psychologues, philosophes, psychanalistes, autrichiens (:P), etc,… ne vous lisent plus, ce qui n’est pas une bonne recette quand vous soulignez le caracter interdisciplinaire de votre travail.

    Dans le papiers ils l’utilisent, je pense.

  9. elvin

    @citoyen : c’est sans doute vrai, mais j’aimerais savoir ce que A et K en disent eux-mêmes.

  10. elvin

    je ne sais toujours pas comment mettre des beaux smileys sur ce blog …

  11. C.H.

    @elvin :

    A&K ne sont pas explicites là-dessus, mais effectivement l’explication donnée par Citoyen me semble la plus plausible. C’est toutefois un choix malheureux je pense. D’une part, sauf pour ce qui concerne leur modèle sur le rôle de l’identité à l’école (article de 2002) qui est très complexe à suivre, leurs autres modèles sont relativement accessibles et peuvent être compris avec un minimum d’effort. D’autre part, je trouve sincèrement que dans ce cas la formalisation (notamment celle que l’on trouve dans leur premier article de 2000) aide à rendre leur argument plus clair et finalement plus convaincant. Enfin, la formalisation permet de rendre plus explicite les fondements du raisonnement d’A&K, à avoir notamment les idées d’équilibre et d’optimisation (des idées d’économistes certes, d’où l’intérêt peut être de ne pas trop les expliciter).

    • elvin

      Oui OK. Je comprends bien la différence de public et d’objectif entre les articles et le livre.
      De toute façon, il arrive qu’on pose des questions dans un but rhétorique sans attendre vraiment de réponse… (toujours ce problème de smiley…)

  12. Ca donne envie de commander le bouquin…

    Je suis un peu partagé sur la question du « Aller sur le terrain » vs. « Analyses stat. », notamment parce que j’ai dû mal à saisir le rôle des études de cas dans la démarche scientifique.

    Dans un débat récent avec elvin, j’ai soutenu la thèse selon laquelle ils ont un objectif essentiellement « exploratoire », c’est-à-dire qu’ils permettent de découvrir des idées, des concepts, des applications et des mécanismes intéressants par le biais de l’observation directe, mais qu’il ne permettent pas de valider ou de falsifier une théorie (sauf sur un plan purement rhétorique) car on pourra toujours arguer de la spécificité du cas retenu.

    Quand je lis les travaux d’Akerlof et de ses coauteurs, je me dis qu’effectivement, les exemples sont intéressants et convaincants, mais je me demande si les mécanismes évoqués permettent d’expliquer une part substantielle de l’échec scolaire par exemple. Est-ce que l’identité des élèves joue un rôle important dans les difficultés des systèmes scolaires ou est-ce seulement anecdotique ? Une étude de cas ne peut pas le révéler.

    J’avais eu un sentiment de rejet plus marqué lorsque j’avais lu le livre d’Akerlof et Shiller « Les esprits animaux ». Contrairement à « Identity Economics », ils se permettaient des extrapolations du micro vers le macro qui, quoique parfois convaincantes, étaient trop souvent peu rigoureuses sur le plan scientifique et auraient mérité une analyse empirique plus fouillée.

  13. elvin

    « [les études de cas] ne permettent pas de valider ou de falsifier une théorie »
    Ce bon vieux Popper dirait « valider non en effet, falsifier (ou réfuter) si ». L’économie serait-elle la seule discipline scientifique où il n’est pas recommandé de commencer par examiner assez longtemps et d’aussi près que possible ce qu’on cherche à expliquer ?

    Par exemple, je suis très choqué que des économistes construisent des théories de l’entreprise (même s’ils disent « la firme ») sans avoir passé des mois dans au moins une entreprise pour voir comment ça marche. Je dis des mois parce que les processus de décision dans les entreprises sont très réfractaires à l’observation, et il est facile de se laisser prendre au discours des responsables.

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