Le Nobel 2009 ou la consécration de l’économie institutionnelle

C.H.

L’émotion passée (enfin, n’exagérons pas hein), il est temps de revenir brièvement sur les deux heureux lauréats du Prix Nobel d’économie 2009, Oliver Williamson et Elinor Ostrom. Je ne détaillerai pas leurs travaux dont on peut trouver de bons résumés chez Marginal Revolution (Ostrom, Williamson) et chez Econoclaste. Par contre, si l’on accepte l’idée que le palmarès du prix Nobel d’économie a une certaine signification quand à la manière dont la profession évolue et digère les théories et les idées, alors il est nécessaire de s’arrêter un instant pour réfléchir à ce que signifie le choix de cette année.

Déjà, je dois avouer avoir une demi-dose de fierté venant du fait que, contrairement probablement à beaucoup d’économistes, je connaissais les travaux d’Elinor Ostrom. Certes, je n’ai jamais eu l’occasion de les lire de première main (d’où la « demi » dose de fierté) mais j’ai lu à plusieurs reprises des travaux faisant références aux études d’Ostrom. Il y a quand même au moins deux choses notables dans le fait que le prix lui ait été décerné, au-delà du fait qu’elle soit la première femme à connaître cet honneur (je laisse le soin à d’autre d’en fournir une interprétation) : d’abord, Ostrom n’est pas une économiste mais une politiste. Comme le fait remarquer Steven Levitt, cela risque de faire grincer beaucoup de dents au sein de la profession des économistes. Pour ma part, j’y vois au contraire la reconnaissance du fait que l’économie est une authentique science sociale qui ne peut que bénéficier du croisement de ses perspectives avec d’autres sciences. L’interdisciplinarité est un peu ma marotte du moment (déformation professionnelle) et le message envoyé ici est on ne peut plus en phase avec ce type de préoccupation. Cela veut dire aussi que les critiques de l’économie « science autiste » vont devoir actualiser leur discours. Certes, l’économie ne va pas devenir du jour au lendemain la science pluraliste dont rêvent certains mais le prix décerné à Ostrom s’inscrit dans la continuité de l’évolution de la discipline dpuis une vingtaine d’années. L’autre aspect à noter est de nature méthodologique : les travaux d’Ostrom ont la particularité de ne pas se réduire à une seule perspective ou démarche. L’impressionante liste d’articles de cette politiste en témoigne : études de terrain, expérimentation en laboratoire, analyses à l’aide de modèles de théorie des jeux, bref Ostrom a examiné le problème de la tragédie des communs (son objet de recherche privilégié) avec tous les outils possibles. Un dernier point non moins important est bien entendu les résultats auxquels elle a aboutit et que rappellent Alex Tabarrok et Alexandre Delaigue : le fait que des arrangements privés puisse dans certains cas permettre le financement d’un bien public ou la résolution du problème de la tragédie des communs. C’est un résultat que j’ai maintes fois rappelé ici, en soulignant la diversité des arrangements institutionnels possibles.

S’il y a beaucoup moins à dire sur la consécration d’Oliver Williamson, ce n’est pas parce que ses travaux sont d’une importance moindre mais parce qu’il est était plus ou moins écrit qu’il devrait recevoir le prix un jour ou l’autre. Peu d’auteurs peuvent se targuer d’avoir ouvert quasiment tout seul (la contribution de Coase ne doit pas être sous-estimée) un champ de recherche dont la fécondité théorique et empirique ne cesse de se confirmer. La théorie des coûts de transaction n’est certes qu’une perspective parmi d’autre sur les relations hiérarchie/marché et les modes d’organisations des firmes, mais elle est certainement celle qui a produit le plus de résultats testables.

Comme le souligne Alexandre Delaigue, le terme de « gouvernance » utilisé pour décrire le sujet des travaux des deux auteurs est impropre et c’est bien du problème de l’action collective dont ces derniers ont traité. D’ailleurs, s’il fallait définir l’objet d’étude de l’économie institutionnelle, ce serait cela : l’étude de la manière dont les individus parviennent à agir collectivement. Mon côté historien de la pensée me pousse à souligner que ce prix est une forme de récompense posthume pour un auteur peu connu mais qui est probablement le pionnier de l’économie institutionnelle au sens moderne du terme : John R. Commons. Commons définissait d’ailleurs le concept d’institution comme « le contrôle de l’action collective dans la contrainte, la libération et l’expansion de l’action collective ». Ceux qui feront l’effort de passer outre le caractère indigeste des écrits de Commons retrouveront beaucoup de thèmes récurrent dans les travaux d’Ostrom et de Williamson, lequel avait d’ailleurs indiqué explicitement qu’il tirait son fameux concept de transaction des écrits de Commons (sur ce quoi il y aurait largement à discuter d’ailleurs). Ostrom et Williamson ne sont pas les premiers représentants de l’économie institutionnelle à recevoir le Nobel : Coase et Douglass North avaient avant eux déjà connus cet honneur. Mais la désignation des lauréats de cette année confirment l’idée selon laquelle « institutions matter« . Et, en paraphrasant Milton Friedman, on pourrait même presque écrire : « We are all Institutionalists now« . 

5 Commentaires

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5 réponses à “Le Nobel 2009 ou la consécration de l’économie institutionnelle

  1. J-E

    « Mais la désignation des lauréats de cette année confirment l’idée selon laquelle “institutions matter“. Et, en paraphrasant Milton Friedman, on pourrait même presque écrire : “We are all Institutionalists now“. »

    J’ai envie de dire que c’est le cas depuis que la théorie de l’équilibre général n’est plus le seul résultat de la théorie économique. Mais tant mieux si c’est officiel.

  2. Bonsoir,
    Oui, plus qu’un choix, on pourrait sans doute parler d’une direction donnée.
    je vous rejoins totalement sur la nécessité de l’interdisciplinarité et plus encore sur la transversalité des sciences humaines.
    je crois que c’est une évolution incontournable, comme il apparaît une intelligence juridique après que l’on ait découvert l’intelligence économique.
    Il faut vingt ans pour apprendre à survivre dans la société complexe dont l’homme s’est lui même entouré, rien d’étonnant qu’il faille vingt sciences pour essayer de la comprendre.
    Bonne soirée
    YL

  3. saugrenus

    Un très bon article, et il est vrai qu’Ostrom n’est pas connue des économistes.

    Je le permets au passage de signaler un petit résumé de vulgarisation sur les contributions de Williamson http://voxthunae.wordpress.com/2009/10/12/williamson-decryptage-du-nobel-deconomie/ … mais il est vrai qu’il est moins original de parler de lui tant il est connu.

  4. MacroPED

    Jésus-Christ a dit « Si cela arrive au bois vert, qu’arrivera-t-il au bois sec que vous êtes ». Autant de notoriété en économie ne connait rien en ce nom (Ostrom). Naturellement, je n’ai jamais entendu parlé… J’aurais dû m’en douter, c’est pas économiste si je crois CH sur parole. Et je le crois, alors que 2 biographies lues la présentent comme économiste. Le serait-elle devenue juste par l’octroi d’un Nobel d’économie?

    Et puis, cette légitimation me dérange un peu. Il y a encore beaucoup de gens à récompenser dans l’économie institutionnelle, pourquoi ne pas le faire? CH vous êtes mieux placé que moi pour répondre que d’aller chercher très loin.

    Par ailleurs, cela ne veut nullement dire que je sois contre l’inter ou transdisciplinarité…

  5. MacroPED

    Voilà au moins quelqu’un sur la blogsphère qui la connait…Je l’ai aussi qu’il y avait un autre sur le Forum d’éconoclaste. Comme quoi, on aura toujours de gens qui vous reconnaitrons…

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