La réforme du système de santé aux Etats-Unis : entre mauvaise foi et analyse économique

Un intéressant débat s’est engagé récemment sur la blogosphère économique américaine au sujet de la réforme du système de santé américain. Obama et son équipe envisage en effet de mettre en place une « option publique » dont le principe est assez simple : aux côtés des compagnies privées d’assurance qui existent déjà, l’Etat fédéral américain mettrait en place sa propre compagnie d’assurance (publique donc) qui rentrerait en compétition avec les acteurs privés. L’idée sous-jacente est que l’assureur public serait susceptible d’offrir à tous les individus excluent du système d’assurance santé (10 à 15% de la population si ma mémoire est bonne) la possibilité de s’assurer auprès de lui. Mark Thoma explique de manière claire le principe de ce système en faisant une analogie avec l’éducation. 

Apparemment, il ne s’agit donc pas de mettre en place un système d’assurance obligatoire « single player » où l’Etat serait en situation de monopsome (voir ce billet de Tyler Cowen à ce sujet) vis à vis des professions médicales. Cela dit, plusieurs économistes s’opposent à la réforme. Greg Mankiw invoque notamment plusieurs arguments. Le premier est que Mankiw voit dans cette réforme un cheval de Troie préparant à la mise en place d’un système single-player avec l’idée que si l’acteur public est aidé, il sera en mesure de baisser ses prix jusqu’à évincer la concurrence privée. En théorie (que l’on me corrige si je me trompe), l’acteur public ne doit pas toucher d’aides de la part de l’Etat fédéral, du moins tel que le projet a été présenté. La crainte n’est donc peut être pas totalement justifiée. De plus, on peut objecter qu’il est tout à fait possible d’envisager une segmentation du marché dans laquelle l’assureur public s’occuperait en priorité des publics fragiles en leur offrant une couverture minimale. Une telle segmentation permettrait la cohabitation des acteurs publics et des acteurs privés. La seconde objection, plus fondamentale, est tout simplement que la réforme et son système de « l’option publique » ne font rien pour corriger ce qui est habituellement invoqué pour justifier un système mixte en matière de santé : les défaillances de marché.

Comme le dit Mankiw : « The Obama administration says it wants a public insurance plan that will compete on a level playing field with private plans (that is, without taxpayer subsidies). Is there any cogent economic analysis that suggests that such a policy addresses problems of adverse selection and moral hazard? None that I know. If it has to stand on its own financially, the public plan has no special advantage in addressing these issues« .

A ce niveau, on commence à voir poindre la mauvaise foi. Quand Paul Krugman explique que la réforme proposée par Obama se justifie par le problème des asymétries d’information et qu’il invoque pour cela le papier de 1963 de Kenneth Arrow, il se fiche doublement du monde : d’une part, comme le dit Mankiw (voir aussi Caplan), il est difficile de voir en quoi l’introduction d’un acteur public contribue en quoi que ce soit à résoudre les problèmes d’asymétries d’information. Ensuite, si on lit le papier d’Arrow, on se rendra compte que celui-ci, même s’il développe effectivement les problèmes que posent ces asymétries, à aucun moment n’appelle explicitement à la nécessaire intervention de l’Etat. Tout ce que dit Arrow c’est que des « institutions non-économiques » (comme les relations familiales) ont du se mettre en place pour surmonter les imperfections du marché. Rien de plus.

Maintenant, la mauvaise foi est aussi du côté de ceux qui défendent le statut quo. Il semble quand même difficile de prendre au sérieux quelqu’un qui estime que le système de santé américain est efficace et juste. Pour rappel, c’est aux Etats-Unis que les dépenses de santé par tête sont, et de loin, les plus élevées. Au total, les dépenses de santé représentent 15% du PIB et près de 60% des dépenses relèvent du secteur privé (voir ce document pour tous ces chiffres). Et la pente est ascendante. Je veux bien, comme essaye de le montrer Greg Mankiw, qu’il faille se méfier des conclusions hâtives sur l’efficacité d’un système de santé en se basant uniquement sur quelques indicateurs (comme l’espérance de vie – mais ce genre de comparaisons est malgré tout tout à fait justifiée), mais je ne vois pas comment l’on peut considérer que le système américain est efficient et juste. Tous les éléments historiques, empiriques et théoriques disponibles corroborent plutôt la thèse suivant laquelle la régulation purement marchande de la santé ça ne marche pas.

En ce qui me concerne, je reste sur la position que j’avais développé ici au sujet de ce que j’avais appelé la « free to choose fallacy ». Sur un plan strictement économique, le système de santé est non seulement porteur d’asymétries d’information mais génère également des externalités positives liées au fait qu’une économie dans son ensemble profite de la bonne santé des individus. Evidemment, tout économiste sait qu’externalités et asymétries d’information ne sont pas systématiquement synonymes d’intervention publique. Le papier d’Arrow le souligne bien. Mais il y a aussi un élément philosophique à prendre en compte : les dépenses de santé sont-elles vraiment le résultat d’un choix ? Sur le plan formel oui. Mais si on accepte l’idée que la distinction entre liberté formelle et liberté réelle a un sens, alors, une partie de ces dépenses sont contraintes. On touche là à un problème de philosophie politique et morale. Dans certains cas, on ne choisit pas de se faire soigner, on y est contraint, cela relève de la nécessité. D’où l’idée de considérer la santé comme un bien premier au sens de Rawls. Rendre universel l’accès à la santé devient alors un impératif. L’option publique est une possibilité, peut être pas la meilleure. Un système entièrement socialisé en est une autre, également imparfaite. Mais un système où une partie de la population est de facto exclue semble difficile à défendre…

 

7 Commentaires

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7 réponses à “La réforme du système de santé aux Etats-Unis : entre mauvaise foi et analyse économique

  1. Passant

    « Sur un plan strictement économique, le système de santé est non seulement porteur d’asymétries d’information mais génère également des externalités positives liées au fait qu’une économie dans son ensemble profite de la bonne santé des individus. »

    Justement, à ce sujet, en est-on bien certain ?

    Je pensais par exemple qu’accepter un certain taux de décès par empoisonnement à l’amiante, aux pesticides, aux cancérigènes, aux radiations nucléaires était économiquement rentable (sinon, pourquoi le ferait-on ?)

  2. C.H.

    Rentable, sur un plan microéconomique et local, probablement. Sur le court terme et moyen terme (qui est typiquement l’horizon des évènements d’un homme politique) peut être aussi. Maintenant, et sans remonter jusqu’aux travaux de Leibenstein sur l’inefficence X, pas besoin d’avoir beaucoup d’imagination pour deviner ce qu’il se passerait si tous les individus étaient en mauvaise santé. L’équation est relativement simple : la richesse d’une société est étroitement fonction de la productivité de ses facteurs de production. Et il ne parait pas déraisonnable de penser que des individus en mauvaise santé sont moins productifs et moins longtemps que des individus en bonne santé.

  3. Passant

    Il me semble qu’historiquement, de nombreuses sociétés ont contourné ce problème en réservant, par la loi, l’usage ou des incitations diverses les activités dangereuses pour la santé à une fraction clairement délimitée de la population. A priori, en garantissant à la minorité au sein de cette fraction parvenant à la prise de conscience de cet état de fait (par exemple, par l’éducation) les moyens de s’extraire de ce destin plus probablement fatal que pour les autres (par exemple, par un emploi de fonctionnaire ou une charge de service commun), le système fonctionne.

  4. Yannick

    Il y a quelque chose qui m’échappe. Si la société publique d’assurance maladie ne fait pas appel à la solidarité nationale (enfin, fédérale aux États-Unis), cela veut dire que l’assurance des personnes actuellement exclues du système de santé est rentable, dans ce cas pourquoi sont-ils exclus ?

    À moins que des économies réalisées — rémunération du capital, économies sur les frais publicitaires… — permettent d’atteindre la rentabilité ?

  5. Yannick : la financière qui sommeille en moi aurait tendance à vous suggérer une autre explication (même si je pense que celles que vous avez proposées sont bonnes). Il se peut que l’assurance des personnes exclues soit soutenable (ne nécessite pas de subvention extérieure permanente) sans être rentable, au sens où elle ne permettrait pas de dégager de quoi rémunérer le capital investi.

  6. C.H.

    @Yannick :
    Je pense effectivement que les pouvoirs publics américains sont convaincus de pouvoir faire des économies au niveau des « frais de fonctionnement ». Cela dit, l’explication d’Emmeline est également tenable et complémentaire.

  7. david

    Une vraie difficulte, c’est de mesurer ce qu’est un bon systeme de sante, non ? La critique de la simple correlation de Mankiw me parait valide, meme si on sent poindre la mauvaise foi dans l’article. L’exemple du Japon me parait assez frappant: je ne connais pas les chiffres, mais il me semble que le Japon ne depense qu’assez peu en % de GDP (je me base sur les montants que je paie sur mes anciennes fiches de paie, et qu’a titre personnel, je trouve le systeme japonais effrayant, a la limite du tiers monde en ce qui concerne la medecine generale).

    L’influence des modes de vie a clairement un impact, peut etre aussi « l’homogeneite ethnique » ? Mais meme au point de vue purement medical, on sait tres peu de choses finalement sur l’influence des modes de vie sur la sante, surtout en ce qui concerne les cancers. On a des faisceaux de preuve, mais a part pour le tabac ou l’amiante, tres peu de preuves irrefutables.

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