Long article d’Edmund Phelps dans le Financial Times dans lequel le prix Nobel 2008 souligne l’efficacité du capitalisme comme système de découvertes et de croissance de la connaissance. Phelps souligne que dans un tel système favorable à l’innovation l’incertitude est par nature prépondérante. Il explique la crise financière par le fait que les agents n’ont pas su tenir compte de l’incertitude radicale qui pesait sur le prix de certains actifs et des implications que cela pouvait avoir. Autant on pourra trouver convaincante la « défence » du capitalisme par Phelps, autant son explication de la crise fondée sur le concept d’incertitude à la Knight parait un peu courte.
D’ailleurs, sur ce dernier point, on peut lire avec profit ce billet de Chris Dillow qui évoque un article des économistes Anne Sibert et Hamid Sabourian montrant qu’il peut être rationnel pour un trader, un banquier ou un expert de continuer à agir d’une certaine manière ou de faire certaines « prédictions » alors même qu’il sait qu’il se trompe. L’une des énigmes de la crise financière est et restera ce qui parait être ex post une incroyable illusion collective de la part des agents sur les marchés financiers et dans les établissement financiers. Phelps considère qu’il y a eu là une incapacité à appréhender l’incertitude radicale ; l’article de Sibert et Sabourian suggère que l’illusion est peut être non seulement fictive mais qu’en fait des comportements irresponsables ont été généré par des problèmes d’incitations. Cette dernière explication a au moins un avantage par rapport à celle de Phelps : on peut peut-être envisager de faire quelque chose pour que cela ne se reproduise pas.
Enfin, toujours en rapport avec l’article de Phelps, à lire également ce billet de Mark Thoma qui aborde un point précis du propos de Phelps, concernant l’arbitrage au sein du système capitaliste entre croissance et stabilité. Phelps (au sujet de la protection sociale) semble indiquer que les deux éléments sont substituables : on ne peut avoir une économie plus stable qu’au prix d’une croissance moindre. Thoma doute qu’il existe véritablement un tel arbitrage. La relation entre croissance et stabilité aurait plutôt la forme d’une courbe en U inversé. De plus, comme le fait justement remarquer Thoma, moins de croissance ne veut pas dire moins de bien-être, à partir du moment où l’on accepte l’idée que la stabilité peut faire partie de la fonction d’utilité des agents ou si ces derniers ont une aversion au risque. Pourquoi des individus préfèrent-ils devenir fonctionnaire, sachant que leur rémunération sera durablement moindre que dans le privé ? L’une des explications est que, passé un certain niveau de revenu, la valeur d’un euro supplémentaire est marginalement décroissante si elle est associée à un risque (de perte d’emploi) plus grand. Il s’agit d’un arbitrage tout ce qu’il y a de plus rationnel. La stabilité, la sécurité de l’emploi, une protection sociale publique, etc. ont une valeur en terme d’utilité.
Concernant l’arbitrage entre croissance et stabilité, c’est une idée que l’on retrouve fréquemment : la libéralisation financière aurait permis une croissance exceptionnelle ces 25 dernières années, mais le prix à payer est un niveau de risque plus élevé. Ce n’est rien de plus que la transposition à l’économie toute entière du lieu commun « qui ne tente rien n’a rien ». Mais où est la preuve? A mon avis, c’est surtout une erreur de composition, sans aucune justification ni définition solide de ce qu’on entend par stabilité.
Sans compter que la finalité de tout ça n’a rien d’évident. Phelps utilise cette idée pour justifier un certain nombre de mécanismes de protection et de stabilisation pour améliorer les termes du compromis. Le but serait d’avoir plus de croissance tout en compensant par ailleurs l’augmentation de l’instabilité. Mais pourquoi faut-il plus de croissance, au fait?
L’article du FT n’est plus dispo gratuitement, et je me demande si Phelps parle de Hayek. Je l’ai entendu à Sciences Po l’an dernier donner une conférence sur Hayek et l’incertitude. Il abordait le rôle du système de prix chez Hayek, la connaissance et l’incertitude knightienne, Keynes et l’absence de coordination, soulignant que Keynes comme Hayek s’éloignaient de la vision néoclassique sur ce point. Il y a manifestement un fil directeur pour Phelps, mais j’ai du mal à voir où il veut en venir.
Durant sa présentation à Sciences Po, Phelps est revenu plusieurs fois sur la « théorie des fluctuations » de Hayek, une expression bizarre pour désigner ce qu’on appelle généralement la théorie autrichienne du cycle. Il était frustré que Hayek et Mises se limitent aux causes monétaires, entraînant des erreurs d’allocation du capital et de la main d’oeuvre, etc. et a cité Spithof comme le père de la théorie des chocs exogènes.
« L’une des énigmes de la crise financière est et restera ce qui parait être ex post une incroyable illusion collective de la part des agents sur les marchés financiers et dans les établissement financiers. »
Je me demande ce que cette illusion collective doit à l’environnement de monnaie abondante et de taux d’intérêt faibles créé par les banques centrales. A mon avis énormément. Y a-t-il eu des études empiriques là-dessus ?