Le jugement de Salomon et l’économie comportementale

Passionnant billet de David Andolfatto sur le jugement de Salomon et ses implications pour l’économie comportementale. Le jugement de Salomon est un cas intéressant pour la théorie des jeux car la procédure mise en place par le roi Salomon pour régler le litige (proposer que les deux femmes se partagent le corps de l’enfant coupé en deux) relève d’un mécanisme visant à conduire les joueurs à révéler leurs préférences. En l’espèce, si l’on considère que la vraie mère accorde plus de valeur à la vie de l’enfant que l’autre femme, on peut s’attendre à ce qu’elle refusera cette solution, révélant ainsi sa vraie identité. Le problème, comme le fait remarquer Andolfatto, c’est que ce mécanisme ne fonctionne que si les joueurs ne sont pas stratégiquement rationnels. En effet, si l’on fait l’hypothèse que les joueurs sont parfaitements rationnels et que la rationalité de l’autre et les règles du jeu sont common knowledge, alors la « fausse mère » peut anticiper le comportement de la vraie mère et la copier. Le mécanisme mis en oeuvre par le roi Salomon devrait alors échouer.

Plusieurs autres mécanismes ont été imaginé pour résoudre ce problème. L’une des solutions les plus sophistiquées se trouve dans ce papier. Andolfatto la résume ainsi : 

« First, Solomon informs the women of the Vickrey auction that will be used to allocate the baby. Second, he informs each woman that the price of participating in the Vickery auction will be a half-life of servitude in some miserable occupation. The women are then asked to submit envelopes with ballots that are marked « yes » or « no » (yes, I am willing to participate; no I am not). If both women submit « yes, » then the Vickrey auction is played. If only one woman submits « yes, » then the baby is allocated to her for free (the auction is not played). If neither woman submits « yes, » then the baby is disposed of in some manner (perhaps in the King’s service) ».

Dans la mesure où la « fausse mère » sait qu’elle perdra le tour d’enchères de Vickrey, elle répondra « non » au jeu de participation, permettant à la vraie mère de récupérer son enfant sans qu’elle ait à payer quoique ce soit. Ici, la solution n’émerge qu’à la condition que les joueurs soient stratégiquement rationnels. Est-ce réaliste ? Peut-être pas. Mais ce que met en avant Andolfatto c’est que, lorsque l’on suppose que les joueurs sont  rationnels, il est possible pour les pouvoirs publics (le roi) d’imaginer des mécanismes institutionnels pour régler des problèmes d’allocation. A l’inverse, que se passe-t-il si les individus sont irrationnels ? Le problème, c’est qu’une fois que l’on sait que les agents sont irrationnels, on n’est pas plus avancé. Savoir que les individus ne se comportent pas d’une manière x ne veut pas dire qu’ils se comportent de manière y. La tâche des pouvoirs publics devient alors insurmontable. Or, une partie du courant de l’économie comportementale (Thaler, Shiller) fonde précisément l’intervention des pouvoirs publics sur le fait que les individus sont « irrationnels ». Dans sa dernière tribune, Robert Shiller indique même que cette « irrationalité » permet au contraire de faire quelques prédictions, notamment sur la survenance de crises financières. Il faut rendre à César ce qui appartient à l’économie comportementale : depuis 25 ans, on en a appris de plus en plus sur les biais comportementaux. On ne sait pas seulement que les individus sont « irrationnels » du point de vue de la théorie économique, mais on sait aussi qu’elle forme tend à prendre cette irrationalité (voir notamment la prospect theory). Deux questions, non résolues, persistent : les individus ne peuvent-ils pas (en partie grâce à l’économie comportementale – c’est le problème de la performativité de la théorie) surmonter ces biais comportementaux à partir du moment où ils en ont connaissance ? le législateur et les décideurs politiques n’ont-ils pas les mêmes biais ?

5 Commentaires

Classé dans Trouvé ailleurs

5 réponses à “Le jugement de Salomon et l’économie comportementale

  1. J-E

    (pas destiné à être publié) il faudrait peut-être dire à ce M. Andolfatto qu’il s’agit de William Vickrey, pas de Vickery (6 fois dans son article quand même). Ca vous apprendra à copier-coller trop vite 🙂

  2. C.H.

    Je me disais aussi…

  3. MacroPED

    Je suis chrétien: et aller fouiller dans la bible comme ça me fait rire. C’est quand même intéressant…Le problème de rationalité s’est posé bien avant la construction muthienne. Cela prouve aussi l’intelligence de Salamon : comment il a fait retrouvé ce problème de biais ou de l’irrationalité?

    C’est là que les chrétiens disent que Dieu existe et grand.

    Revenons à la science. Si on prolonge cette étude, il y a bcp…

  4. Pingback: Multiplication des pains et risk management | Freakonometrics

Répondre à J-E Annuler la réponse.