Archives mensuelles : août 2011

Les liens du matin (93)

Les « liens du matin » sont de retour !

* « Publier ou périr … de rire ! » – Blogizmo

* « The naturalness of (many) social institutions: evolved cognition as their foundations » – Pascal Boyer et Michael Petersen (article académique)

* « Academic publishers make Murdoch look like a Socialist » – The Guardian

* « False Starts » – Cheap Talk

* « Champagne « Socialism »: Private vs. Public Enforcement of Contracts » – Cheap Talk

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Les effets pervers de la course à la publication

C.H.

Le dernier numéro du Journal of Economic Perspectives comprend une étonnante correspondance entre David Autor, rédacteur en chef de la revue, et Bruno Frey, un chercheur internationalement reconnu notamment pour ses recherches au croisement de l’économie et de la psychologie. La dicussion concerne un article récemment publié par Frey et deux co-auteurs dans le JEP,  « Behavior under extreme conditions: The Titanic Disaster« . Les plus anciens lecteurs de ce blog se souviendront que j’avais d’ailleurs consacré un billet à une précédente version de cet article. Il s’avère que suite à la publication de l’article, le rédacteur en chef du JEP s’est aperçu que les mêmes auteurs avaient déjà publié différentes versions (mais manifestement très ressemblantes à l’article du JEP) dans pas moins de trois autres revues. L’éditeur affirme qu’il n’avait pas connaissance de deux de ces trois publications où moment où l’article a été accepté pour être publié dans le JEP, sans quoi il aurait été refusé.

Il est clair que publier trois ou quatre versions rigoureusement identiques d’un même papier est contraire à n’importe quelle éthique de la recherche que l’on puisse imaginer. En même temps, sans pour autant relativiser la responsabilité des auteurs concernés, il faut quand même noter que la duplication des articles est une chose assez courante, au moins en économie, même si la plupart du temps elle se fait de manière beaucoup plus subtile que dans l’exemple ci-dessus. C’est l’un des multiples effets pervers de l’obsession bibliométrique qui réduit l’évaluation de la recherche (et dont dépendent entre autres promotions et allocation de financements)  au comptage du nombre de lignes sur le CV ou, pire, à une subtile addition de « points » suivant le rang des publications. En clair, les chercheurs ne prennent plus le temps de lire les travaux de leurs collègues pour les évaluer. C’est notamment ce qu’avait pointé du doigt le collectif Zadig, un collectif d’enseignants-chercheurs en économie, dans une lettre ouverte à Valérie Pécresse, alors encore ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche.

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Le statut des modèles dans les sciences en général et dans les sciences sociales en particulier : une « reading list »

C.H.

Historiquement, et notamment pendant la période durant laquelle le positivisme logique était dominant, les théories scientifiques constituaient l’objet d’étude privilégié de la philosophie des sciences. L’explication scientifique était plus ou moins considérée comme équivalente à la production de théories, postulat servant par exemple de base aux travaux de Carl Hempel sur la structure des théories scientifiques (le modèle D-N). A partir des années 70, le statut épistémologique premier des théories a commencé à se fragiliser. Une étape importante a notamment était le développement de la conception « sémantique » des théories qui considère que les théories scientifiques ne sont rien de plus qu’une collection de modèles. Même si cette approche est contestée (notamment, réduire la science à une forme ou une autre d’activité de modélisation est excessif), elle a largement contribué à orienter les réflexions de la philosophie des sciences vers le statut ontologique et épistémologique des modèles. Si cette évolution a d’abord concerné les sciences de la nature (et en particulier les mathmatiques et la phsyique), les sciences sociales sont également touchées depuis quelques années.

Ci-dessous vous trouverez une bibliographie comportant des références abordant la question du statut des modèles. La plupart concerne directement l’économie et les sciences sociales, mais certaines se placent à un niveau de généralité un peu plus élevé. La liste ne prétend pas être exhaustive, aussi si certains d’entre vous ont d’autres références à indiquer, qu’ils ne se privent pas de le faire dans les commentaires. Lire la suite

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La modélisation en économie et en biologie

C.H.

Un numéro spécial de la revue Biology and Philosopy consacré à la pratique de la modélisation en économie et en biologie va paraître en septembre. J’ai pu déjà consulter un certain nombre d’articles très intéressants : un article de T. Grüne-Yanoff sur l’utilisation de la théorie des jeux évolutionnaire en économie (j’en avais parlé ici), un article sur l’économie évolutionnaire ou encore un article de J. Martens qui interroge les fondements méthodologiques et heuristiques de la démarche en biologie évolutionnaire consistant à appréhender les organismes comme des agents maximisant « intentionnellement » leur valeur sélective en « choisissant » leurs traits phénotypiques. L’auteur oppose ce type d’explication individualiste à l’explication en termes d’approche multi-niveaux qui est souvent mobilisée pour étudier l’évolution de la coopération.

A noter également le très intéressant article de Robert Sugden qui poursuit sa réflexion sur les modèles comme « mondes crébibles ». Sugden va même un peu plus loin que dans ses articles précédents en défendant l’idée qu’en économie comme en biologie, il n’est pas rare que les chercheurs produisent des « explications en attente d’observations » : en clair, les modèles modélisent des phénomènes fictifs dont on a pas encore trouvé d’équivalent empirique, mais dont on a des raisons de penser qu’ils existent. Sugden prend deux exemples. Le premier est  l’article de Schelling sur les modèles de ségrégation résidentielles paru en 1971 (article qui n’est pas exactement identique au chapitre portant sur le même thème dans l’ouvrage Micromotives and Macrobehavior paru en 1978). Dans cet article, le point de départ de Schelling n’est pas le modèle en deux dimensions représentant un damier où les agents choisissent leur localisation mais un modèle unidimensionnel prenant la forme d’une ligne. Le modèle est très peu réaliste mais débouche sur des patterns intéressant au moins sur le plan formel… sans que Schelling n’indique à quel phénomène réel ils pourraient renvoyer. De même, l’article contient une variante du modèle en deux dimensions où les préférences des membres des deux populations diffèrent. Il émerge alors une ségrégation résidentielle avec une plus forte densité de population pour la population la moins « tolérante ». Le seul lien entre ce résultat et un quelconque phénomène réel est suggéré par Schelling au détour d’une fin de paragraphe, dans une phrase entre parenthèsesse terminant par un point d’exclamation. C’est ce que Sugden appelle une explication en termes d’observation.

Le second exemple est l’article de J. Maynard Smith et G. Parker, « The Logic of Asymetric Contest », paru en 1976. Ici, l’explication en attente d’une observation porte sur les stratégies évolutionnairement stables « paradoxales », c’est à dire les situations où le conflit entre deux animaux (pour la possession d’une ressource par exemple) est résolu « conventionnellement » en faveur du plus faible ou de celui pour qui la « victoire » est la moins intéressante. Dans le modèle de Maynard Smith et Parker, un tel équilibre existe et indique donc qu’une telle situation est théoriquement possible. Mais à l’époque où l’article est écrit, aucun exemple empirique n’était connu (depuis, on en a trouvé quelques uns, notamment chez certaines espèces d’araignées).

Au-delà de la thèse de Sugden, l’article de Maynard Smith et Parker est vraiment intéressant car il en dit long sur les pratiques de modélisation des biologistes. Les critiques de la science économique qui dénonce les « hypothèses irréalistes » ou les « fables » racontées par les modèles des économistes seraient bien avisés de consulter cet article, qui est quand même le point de départ de toute la littérature sur la stabilité évolutionnaire et plus largement qui a lancé l’utilisation de la théorie des jeux en biologie. On peut difficilement faire plus irréaliste que le modèle de conflit des auteurs : reproduction asexuée, symmétrie des « joueurs » au niveau des gains et des aptitudes au combat, interactions exclusivement dyadiques, comportement entièrement déterminé par le génotype, comportement génétiquement indépendant du rôle occupé par l’organisme (possesseur de la ressource ou challenger), etc. A vrai dire, même les modèles microéconomiques que l’on trouve dans les manuels d’économie paraissent plus réalistes que le modèle de Maynard Smith et Parker. Et pourtant, à en juger par l’évolution de la discipline ces trente dernières années, leur modèle a été d’une fécondité que l’on ne peut surestimée. On peut faire à peu près la même analyse d’ailleurs pour ce qui concerne les modèles de génétique des populations, disciplines qui a été confronté à des critiques similaires que l’économie.

Bref, ces différents points renforcent la thèse que l’économie et la biologie partagent de nombreuses caractéristiques, au-delà des pratiques de modélisation. Il y a indéniablement un isomorphisme formel entre modèle biologiques et modèles économiques. Ce n’est pas nouveau : les deux disciplines ont fait depuis longtemps de l’optimisation sous contrainte leur outil privilégié. Cependant initialement, l’optimisation sous contrainte en économie était justifiée par la rationalité des agents alors qu’en biologie c’était la sélection naturelle qui servait de justification ontologique à cette hypothèse. Ironiquement, les choses se sont inversées aujourd’hui : comme le montre l’article de Martens, la biologie utilise l’analogie de l’agent rationnel tandis qu’en économie, une partie de la littérature en théorie des jeux réinterprète les résultats classiques en substituant aux hypothèses sur la rationalité des agents l’argument de l’existence d’une forme ou d’une autre de sélection ! A cet isomorphisme formel s’ajoute un isomorphisme substantif qui indique qu’évolution culturelle et évolution biologique partagent certainement quelques principes ou mécanismes premiers, ce qui rend la transposition d’un même modèle d’un domaine à un autre possible, au moins de prime abord.

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Mécanismes et causalité inter-niveaux

C.H.

Cela fait plusieurs mois que je parcours la littérature philosophique et scientifique autour du concept d’émergence. A ce sujet, je présenterai avec un collègue au mois de septembre un papier à un colloque de philosophie en Belgique qui discute des institutions comme phénomènes émergents. Comme j’ai déjà eu l’occasion d’en parler plusieurs fois ici, l’une des idées clés du concept « fort » d’émergence est celle de la « causalité descendante » (downward causation), c’est-à-dire l’idée qu’une entité située à un niveau ontologique donnée puisse avoir une influence causale sur une entité située à un niveau ontologique inférieure. L’idée est très discutée, notamment en philosophie de l’esprit où la question qui se pose est de savoir quel est le statut des propriétés mentales qui « surviennent » (au sens de supervenience) du cerveau humain et de ses propriétés physiques et chimiques. De manière générale, beaucoup de philosophes et de scientifiques récusent l’idée de causalité descendante, l’estimant comme logiquement contradictoire avec toute conception raisonnable de la causalité. Lire la suite

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Note de lecture : « Rational Ritual. Culture, Coordination, and Common Knowledge », de Michael S-Y. Chwe

C.H.

Rational Ritual est un petit ouvrage (99 pages sans la bibliographie et les annexes) paru en 2001 qui, dans un style extrêmement accessible et débarrassé de concepts techniques et de formalisation, aborde un sujet au cœur des sciences sociales : comment les individus parviennent-ils à se coordonner ? La thèse de Michael Chwe (professeur de sciences politiques à l’Université de Californie) est que dans bien des cas, les individus parviennent à se coordonner sans forcément communiquer parce qu’ils parviennent à former une connaissance commune (common knowledge) de leurs intentions. Cet ouvrage offre une collection de petits exemples illustrant les mécanismes rendant cette connaissance commune possible. L’idée sous-jacente est que, contrairement à ce que l’on pourrait penser, la connaissance commune n’est pas quelque chose d’exceptionnel mais est au contraire atteinte de manière très fréquente. Chwe insiste notamment sur l’importance des cérémonies et des rituels publics : lorsque je participe à une cérémonie, je sais que ce que j’ai vu ou entendu a également été vu ou étendu par les autres participants. Plus important encore, je sais qu’ils savent que j’ai vu ou entendu la même chose qu’eux. Et je sais qu’ils savent cela, etc. Lire la suite

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Crise de la dette publique, auto-référentialité et prophéties auto-réalisatrices

C.H.

A l’heure où j’écris ces lignes, la réaction des principales places boursières mondiales à la dégradation de la note des Etats-Unis par l’agence de notation Standards & Poors se fait encore attendre. Quoiqu’il en soit, cet évènement est l’occasion de souligner à nouveau une dimension qui est partiellement commune aux Etats-Unis et à certains pays européens : l’auto-référentialité du phénomène de crise de la dette publique. Lire la suite

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Un bon site sur la dynamique sociale

C.H.

Pour tous ceux qui sont intéresser par la dynamique sociale (du genre modèle de masse critique à la Schelling ou Granovetter) et/ou qui voudraient préparer un cours sur le sujet, voici un site intéressant avec notamment pas mal de cours en ligne ainsi que les codes sources d’un certain nombre de simulations.

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